Le Devoir

Théâtre La parole de Scapin donnée à André Robitaille

André Robitaille se frotte à l’imposant Scapin de Molière, dans les Fourberies

- SIMON LAMBERT

Figure familière de l’animation et du petit écran, André Robitaille s’attaque cet hiver au «rôle le plus imposant» de sa carrière de comédien: Scapin, sur les planches du TNM.

Sa présence à l’écran s’est faite avec une constance marquée depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre du Canada, en 1989, et il fait pour ainsi dire partie du décor. À un point qu’on en oublie parfois, derrière l’animateur, l’homme de théâtre. « J’ai peur de tomber dans les clichés, mais c’est la base: avant tout, c’est la maison première, c’est là que je peux m’épanouir sur le plan artistique», expose, à propos du sixième art, celui qui portera le rôle-titre de ces Fourberies de Scapin quatrièmes du nom au TNM, après des production­s en 1972, en 1975 et en 1986.

Il succède à Gabriel Gascon et à Normand Chouinard, qui ont précédemme­nt incarné le valet bouffon, dans cette pièce que Jean-Pierre Ronfard tenait pour «l’une des plus fantastiqu­es machines de théâtre qui aient jamais été conçues». Ce sera pour Robitaille une occasion de retrouver la «joie du direct», dans un Scapin voulu en relation directe avec la salle. «Molière le voulait comme ça. »

Après cette production, il sera à Paris pour Edgar et ses fantômes, avant un Laurel et Hardy cet été au Québec. Une grosse année de théâtre, en somme, alors que Les enfants de la télé et Entrée principale le laissent déjà à temps plein dans deux émissions. « Je sens que je suis meilleur animateur si j’ai joué au théâtre la veille, et vice versa. Juste animer ou juste jouer, il me manquerait quelque chose. Je suis privilégié, j’ai droit aux deux. J’en

« Molière aurait envie de crier ! Les gens au pouvoir s’en sortent bien : c’est ce qu’il dit, Scapin ! André Robitaille »

prends soin, et je travaille comme un fou. »

À ses chapeaux divers, André Robitaille n’a aucune peine à trouver un objectif commun: «parler au monde», peu importe la plateforme. «Avec Les enfants de la télé, alors qu’on est là beaucoup pour divertir et profiter des anecdotes de nos invités, tu remarquera­s que je travaille pour aller chercher l’interventi­on sociale aussi, que ce soit sournoisem­ent ou très franchemen­t. Notre société évolue; par la télévision, on peut le voir. »

Lorsqu’il a imaginé C’est juste de la télé, c’était d’ailleurs le but recherché : voir sa société évoluer par le prisme télévisuel. Loin de la dichotomie qui l’écartèlera­it entre comédien et animateur, Robitaille se considère ainsi comme un «communicat­eur avant tout». «J’adore faire rire, mais j’ai besoin, quand j’anime un show, qu’il y ait un fond social assez solide. »

Ce qui nous ramène à Scapin, et aux échos que la pièce saura trouver en 2018. « Écoute… Je sais qu’on est toujours en train de dire ça quand on se fait poser cette question : que le classique qu’on est en train de monter résonne encore aujourd’hui. Mais Molière, sa mission, c’était ce qu’on vient de dire : l’interventi­on sociale. Faire une grimace aux médecins, faire un pied de nez à la justice…»

En phase avec l’auteur des Fourberies, qui disait que «le devoir de la comédie est de corriger les hommes en les divertissa­nt », le comédien évoque entre autres points d’actualité l’arrêt Jordan et ses conséquenc­es. «Molière aurait envie de crier ! Les gens au pouvoir s’en sortent bien: c’est ce qu’il dit, Scapin ! »

Carl Béchard, qui signe la mise en scène de cette production pour douze comédiens, parlait à ce propos de recréer l’impact que le texte a eu à sa création, en mai 1671, mais pour le public d’aujourd’hui. Loin des « steppettes » fameuses du valet, André Robitaille se prépare depuis deux ans pour ce rôle qui, de sa carrière, est «le plus imposant», dans une production que l’équipe a voulue fortement appuyée dans le texte, et peu désireuse d’entrer par les cabrioles.

«Moi, faire de la pirouette pour de la pirouette, ça me gosse. Je n’aime pas les acteurs qui font, j’aime les acteurs qui sont. Un gars saoul, je peux te le faire en claquant des doigts; ça va faire rire, pis mon Dieu que ça va être sympathiqu­e. Mais ça ne me tente pas… Je veux comprendre pourquoi, je veux gosser dans mes tripes avant de me lever et de le faire. »

La place du théâtre

Si, pour ce qui est de sa propre posture, il ne fait aucune différence entre théâtre et écran, il reste que ces deux espaces de création n’en jouissent pas moins de conditions fort distinctes. «Il manque de moyens au théâtre, ça, c’est indéniable. Il y a un besoin d’argent criant. Il faudrait vendre nos billets comme à New York, à 200$, pour arriver… On fera jamais ça au public», souligne le comédien qui, avec des noms comme Benoit Brière, auquel il donne la réplique et un Molière au TNM, a conscience d’opérer dans un «marché privilégié».

Si tous les théâtres n’ont pas cette chance, et dans un contexte de présence accrue des production­s cinématogr­aphiques et télévisuel­les, dans un contexte où le prix du billet de théâtre rivalise mal avec les coûts liés à la diffusion en continu et au piratage, Robitaille demeure néanmoins optimiste, pour deux raisons. « Quand je m’assois devant mon Netflix, ça me fait du bien et j’adore ça, mais je n’ai pas grand-chose à faire. Être spectateur de théâtre, c’est actif. »

«Et c’est la communion, aussi. Être mille personnes dans une salle, dans le noir, à vivre un moment en direct avec ses imprévus, avec les imperfecti­ons du direct… Le théâtre va traverser toujours l’histoire à cause de ça: la rencontre humaine. À cause des gens assis ensemble dans une salle: c’est une des églises qu’il nous reste. »

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR À ses chapeaux divers, André Robitaille n’a aucune peine à trouver un objectif commun: «parler au monde», peu importe la plateforme.

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