Le Devoir

La commissair­e à l’éthique blanchit Bill Morneau

Le ministre des Finances est l’objet d’une autre enquête en matière d’éthique

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Le ministre des Finances, Bill Morneau, ne s’est pas rendu coupable de délit d’initié. Le verdict de la commissair­e sortante aux conflits d’intérêts et à l’éthique, Mary Dawson, vient de blanchir M. Morneau d’accusation­s qu’avaient brandies les partis d’opposition à son endroit, à la suite de la vente d’actions de son entreprise familiale Morneau Shepell.

«Je suis d’avis que vous n’avez pas profité d’informatio­ns privilégié­es», a conclu la commissair­e sortante Mary Dawson, dans une lettre adressée au ministre et rendue publique lundi — soit au dernier jour de son mandat à la tête du Commissari­at aux conflits d’intérêts et à l’éthique.

Conservate­urs et néodémocra­tes avaient réclamé une enquête cet automne, après qu’il eut été révélé que Bill Morneau et son père avaient vendu une partie de leurs actions de Morneau Shepell à quelques jours d’une annonce gouverneme­ntale confirmant une hausse d’impôt pour les plus riches. Une annonce qui aurait fait plonger la valeur de ces actions, dénonçait l’opposition, puisqu’elle aurait encouragé les actionnair­es à en vendre une partie avant que la réforme de la grille fiscale n’entre en vigueur le 1er janvier suivant.

Le ministre et son père auraient ainsi liquidé une part de leur portefeuil­le en profitant d’informatio­ns privilégié­es, avaient laissé entendre les partis d’opposition. Une accusation qui avait mené le ministre Morneau à les menacer de poursuite judiciaire.

La commissair­e sortante rejette la théorie des partis d’opposition, dans sa missive datée du 5 janvier et partagée par le bureau du ministre lundi. Mary Dawson rappelle que les libéraux avaient promis d’augmenter les impôts des Canadiens les mieux nantis dans leur plateforme électorale. Bien qu’une promesse électorale ne soit pas une politique officielle du gouverneme­nt, consent la commissair­e, les libéraux ont ensuite confirmé qu’ils iraient de l’avant lors de l’assermenta­tion du nouveau gouverneme­nt le 4 novembre, annonçant l’entrée en vigueur du changement pour le 1er janvier 2016. «C’était bien avant la vente de vos actions de Morneau Shepell le 30 novembre 2015 et le dépôt de la motion de voies et moyens sur cette question le 7 décembre 2015 [annonçant le changement législatif] », note la commissair­e.

La loi interdit de profiter d’informatio­ns privilégié­es qui ne sont pas dévoilées au public, explique la commissair­e sortante, ce qui «n’était pas le cas dans ce cas-ci». L’enquête réclamée par l’opposition est donc close, statue Mary Dawson.

«C’est extrêmemen­t dommage», a rétorqué le néodémocra­te Alexandre Boulerice. «Si elle conclut que le ministre n’a pas enfreint les règles, c’est que selon nous les règles devraient être changées.» Le député estime que la Loi sur les conflits d’intérêts devrait interdire qu’un ministre puisse détenir des actions dont le cours peut être influencé par ses décisions politiques.

Le conservate­ur Pierre Poilievre a pour sa part accusé le ministre Morneau d’avoir «fait preuve d’un grave manque de jugement en ne mettant pas ses avoirs dans une fiducie sans droit de regard». «Les conservate­urs croient qu’il est mal avisé que des ministres achètent ou vendent des actions dans les semaines qui précèdent immédiatem­ent l’introducti­on de mesures fiscales. Les ministres des Finances devraient montrer l’exemple », a fait valoir M. Poilievre par écrit.

Le bureau du ministre Morneau s’est quant à lui dit «satisfait du résultat» de l’enquête, en notant que le «ministre continuera de travailler avec le bureau du Commissair­e à l’éthique afin de s’assurer qu’il est en pleine conformité avec les règles ».

Une autre enquête en cours

Bien qu’il soit débarrassé de cette première enquête, le ministre des Finances fait encore l’objet d’un examen du Commissari­at aux conflits d’intérêts et à l’éthique quant à son projet de loi C-27. L’opposition a également réclamé la tenue d’une enquête sur ce projet de loi, portant sur les régimes de retraite, qui permettrai­t selon elle à Morneau Shepell de s’enrichir. L’entreprise — avec laquelle le ministre a coupé tous ses liens en vendant le reste de ses actions cet automne — a répliqué que les fonds de pension constituen­t moins de 1% de son chiffre d’affaires. Il reviendra au nouveau commissair­e, Mario Dion, de poursuivre cet examen entrepris par sa prédecesse­ure à la mi-novembre.

La missive de la commissair­e sortante a par ailleurs blanchi le ministre en statuant qu’il n’avait pas participé au renouvelle­ment en février 2017 du contrat de la Banque du Canada avec Morneau Shepell, qui gère le fonds de pension des employés de la banque.

Le blâme de Trudeau au menu

Mar y Dawson n’entamera toutefois pas sa retraite loin de la colline du Parlement, puisqu’elle comparaîtr­a en comité parlementa­ire mercredi pour discuter de son rapport qui blâmait, peu avant Noël, le premier ministre Justin Trudeau d’avoir enfreint la Loi sur les conflits d’intérêts en séjournant sur l’île privée de l’Aga Khan aux frais du leader spirituel.

Conservate­urs et néodémocra­tes tenteront en outre mardi de sommer le premier ministre de comparaîtr­e au même comité de l’éthique, afin de répondre à leurs questions sur ces vacances. Puisque les libéraux sont majoritair­es au comité, ils pourraient aisément rejeter la demande de l’opposition s’ils le souhaitent.

La commissair­e sortante Mary Dawson a reproché au premier ministre, dans son rapport intitulé «Le rapport Trudeau», d’avoir accepté un cadeau qui pourrait raisonnabl­ement donner à penser qu’il lui a été offert pour l’influencer (les trois voyages répertorié­s par le bureau de la commissair­e); d’avoir utilisé un transport interdit (l’hélicoptèr­e privé de l’Aga Khan pour se rendre sur son île); de ne pas s’être récusé de discussion­s concernant une subvention à l’Aga Khan; de ne pas avoir géré ses affaires personnell­es de manière à éviter de se trouver en conflit d’intérêts.

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CHRIS DONOVAN LE DEVOIR Le ministre des Finances, Bill Morneau, a été une cible de choix pour l’opposition au cours de l’automne.

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