Le Devoir

Ottawa prend les grands moyens pour défendre l’intégrité de sa loi

Deux patients contestent devant les tribunaux une dispositio­n de la loi fédérale

- PIERRE SAINT-ARNAUD

Deux Québécois qui se battent devant les tribunaux pour obtenir l’aide médicale à mourir reprochent au gouverneme­nt fédéral d’utiliser des moyens démesurés pour les empêcher d’avoir gain de cause.

Avant même que l’audition de la cause ne s’amorce, Ottawa a demandé à la Cour supérieure la permission de présenter en preuve les témoignage­s de 13 experts au soutien de sa défense de la loi fédérale, requête que la juge Christine Baudouin a commencé à entendre lundi.

L’avocat des deux plaignants, Me Jean-Pierre Ménard, estime qu’il s’agit là d’un exemple flagrant de disproport­ion de moyens, le gouverneme­nt fédéral arrivant devant le tribunal avec une armée d’experts que ses clients n’ont aucun moyen de contrer.

Selon Me Ménard, la demande du gouverneme­nt fédéral, si elle était acceptée, obligerait ses clients à opposer autant de contre-expertises et ajouterait des délais indus alors que les demandeurs souffrent et souhaitent un dénouement rapide de leur cause.

Le juriste et expert en droit médical dit ne pas s’opposer au dépôt d’expertises par le gouverneme­nt fédéral, mais estime que la quantité demandée est nettement exagérée et va de toute évidence à l’encontre du principe de proportion­nalité des moyens prévu au Code de procédure civile québécois.

Nicole Gladu et Jean Truchon ont déposé en juin dernier une demande en jugement déclaratoi­re afin de faire déclarer inconstitu­tionnelles les provisions de la loi fédérale qui limite l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort est «raisonnabl­ement prévisible ».

Ottawa a été forcé d’adopter une loi permettant de demander l’aide médicale à mourir après que l’arrêt Carter de la Cour suprême eut jugé que l’interdicti­on d’offrir l’aide médicale à mourir allait à l’encontre de la charte des droits.

Or, l’arrêt Carter permettait d’offrir l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie grave et irrémédiab­le et qui étaient aux prises avec des souffrance­s intolérabl­es qui ne peuvent pas être soulagées. Le plus haut tribunal n’avait émis aucun critère associé à une mort prochaine ou prévisible, mais la loi fédérale a introduit un critère qui impose pratiqueme­nt une obligation d’être condamné à mourir pour y avoir droit.

Nicole Gladu, une septuagéna­ire victime de la polio en enfance, a reçu un diagnostic de syndrome post-poliomyéli­te en 1992 et son état se détériore sans cesse depuis ce temps, au point où elle a du mal à se tenir dans son fauteuil roulant sans effort, alors que Jean Truchon, un quinquagén­aire atteint de paralysie cérébrale, a perdu en 2012 l’usage de son bras gauche, dernier membre fonctionne­l qu’il avait.

Bien qu’atteints de graves maladies dégénérati­ves incurables, la mort des deux Montréalai­s n’est pas imminente et ils n’ont donc pas droit à l’aide médicale à mourir alors qu’ils y auraient droit si le gouverneme­nt fédéral avait respecté intégralem­ent l’arrêt Carter.

Le gouverneme­nt veut faire entendre 13 experts, ce qui est déraisonna­ble aux yeux de l’avocat des demandeurs

Militants pro et anti

La juge Baudouin devra par ailleurs trancher sur la participat­ion ou non de divers organismes militants qui veulent se faire entendre en marge du débat juridique.

Le Collectif des médecins contre l’euthanasie, qui s’oppose à toute forme d’aide médicale à mourir, a fait des représenta­tions afin de proposer ses propres expertises, tout comme l’Associatio­n canadienne pour l’intégratio­n communauta­ire et le Conseil des Canadiens avec déficience­s, qui cherchent aussi à limiter le droit à l’aide médicale à mourir.

À l’opposé, l’Associatio­n québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, qui appuie la requête de Mme Gladu et de M. Truchon, a également fait des représenta­tions pour être entendue.

Ni les procureurs du gouverneme­nt fédéral — ou du gouverneme­nt provincial, qui est également forcé de défendre sa propre loi qui prévoit «une mort imminente» pour avoir droit à l’aide médicale à mourir — ni Me Ménard ne s’opposent à ce que les groupes concernés déposent une expertise écrite, mais aucune des parties ne souhaite voir le débat sur l’aide médicale à mourir être refait devant la Cour et estiment que le tribunal ne devrait pas aller au-delà d’une permission très restreinte et encadrée de déposer un document pour défendre leurs points de vue.

Aucune décision n’a été rendue lundi.

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