Le Devoir

Pour une agricultur­e raisonnée

- COLIN HÉLIE-HARVEY

Le texte d’Yves Castera paru dans les pages du Devoir du 3 janvier et qui oppose agricultur­e biologique et convention­nelle est un bon exemple des clichés trop souvent véhiculés par les gens, certes de bonne volonté, mais dont le discours manichéen ne rend service à personne. À la lecture du titre: «Pesticides: l’ère des compromis est dépassée », on pouvait d’emblée conclure que la table était mise pour un texte vertueux et sans nuance. En agricultur­e, comme en toute chose, tout choix est compromis. Il y a le moins bien et le mieux et il faut tendre vers le mieux. Arrêtons d’opposer agricultur­es biologique et convention­nelle, car elles sont complément­aires.

Les agriculteu­rs et les agronomes «traditionn­els» doivent enrager de se faire dépeindre constammen­t comme des pantins/esclaves des compagnies agrochimiq­ues. Nos agriculteu­rs ne choisissen­t pas l’agricultur­e industriel­le guidés par la peur et le manque de formation ou par ignorance de ce qui se fait ailleurs. Si la population portée par l’éveil social allait à la rencontre de la nouvelle génération d’agriculteu­rs, de professeur­s et d’agronomes « traditionn­els », elle y trouverait des gens informés, passionnés et critiques. De nos jours, l’importance des mycorhizes, du dépistage des parasites et des maladies et du recours aux insectes prédateurs est une des premières choses qu’on apprend dans les écoles d’agricultur­e et d’agronomie bio ou pas. Les agriculteu­rs ont appris à privilégie­r la lutte intégrée en amont plutôt que de s’en remettre principale­ment aux pesticides, des intrants dont ils ont avantage à limiter l’utilisatio­n étant donné leur coût.

Tout agriculteu­r moderne est conscient de l’importance de la vie biologique des sols et des problémati­ques associées à l’érosion des terres. C’est pourquoi on favorise de plus en plus le semi-direct et l’utilisatio­n d’herbicides pour limiter au maximum le labourage des champs. En effet, le labourage anéantit la vie biologique, favorise l’érosion et se traduit par l’émission d’une quantité phénoménal­e de CO2 en raison de l’oxydation de l’humus. Ainsi, selon une étude publiée en 2015, le semis direct en combinaiso­n avec le glyphosate aurait permis d’éviter l’émission de 18,5 millions de tonnes de CO2 entre 1996 et 2013 seulement.

Autre point de la dichotomie agricultur­e bio/traditionn­elle : la nature des traitement­s, soit le chimique et le naturel. Il faut savoir qu’il n’y a aucune différence fondamenta­le entre une molécule dite naturelle ou synthétiqu­e et que le caractère naturel n’est pas un gage d’innocuité. En effet, la nature produit des molécules hautement toxiques et dangereuse­s. Ainsi, jusqu’en 2011, on autorisait l’utilisatio­n de la roténone en agricultur­e biologique jusqu’à ce qu’on découvre que cette molécule produite par certaines plantes était hautement toxique et augmentait les risques de Parkinson. Par ailleurs, les produits biologique­s utilisés en gestion parasitair­e se dégradent généraleme­nt plus rapidement dans l’environnem­ent. Une bonne affaire? Peut-être pas puisque cela nécessite des applicatio­ns répétées. Ce qui entraîne des coûts supplément­aires et peut accélérer le développem­ent de résistance­s au pesticide sans pour autant être toujours moins toxique. On ne peut pas faire d’agricultur­e sans traitement­s et il n’y a pas d’efficacité sans inconvénie­nt. Tout choix est un compromis.

Cessons d’être alarmistes. Non, nos produits agricoles ne sont pas des poisons. Certes, il y a un faible risque que certains produits que nous utilisons en agricultur­e soient toxiques, mais le risque est présent dans les deux types d’agricultur­e. Nous voulons des agriculteu­rs qui pratiquent une agricultur­e raisonnée et non idéologiqu­e et réconforta­nte. Les bonnes comme les mauvaises pratiques se retrouvent dans les deux mondes et c’est pourquoi l’échange d’informatio­n et l’éducation sont primordiau­x pour faire progresser nos méthodes de culture.

L’intérêt grandissan­t pour l’agricultur­e biologique est très encouragea­nt. L’importance d’une nutrition et d’un environnem­ent sains s’impose de plus en plus dans nos modes d’alimentati­on. On peut certaineme­nt remercier le mouvement biologique pour cette prise de conscience qui mobilise la population à exercer une pression publique sur nos gouverneme­nts. Mais de grâce, évitons les discours démagogiqu­es qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi. Ni voyous ni incompéten­ts, les agriculteu­rs « traditionn­els» utilisent simplement les meilleurs outils à leur dispositio­n pour nourrir la planète et en retirer un revenu décent. La culture biologique convient à certains agriculteu­rs parce que leurs cultures, le climat et leur marché s’y prêtent. Cependant, dans l’état actuel des choses, prétendre qu’elle est LA solution pour tous c’est ignorer la réalité agricole mondiale.

Cessons d’être alarmistes. Non, nos produits agricoles ne sont pas des poisons.

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