Le Devoir

Internet a toujours été réglementé

- PIERRE TRUDEL

Internet est réglementé, il l’a toujours été. Il importe de le rappeler en ces temps où l’on débat des mesures qui pourraient être prises afin de remédier aux dérives ou aux iniquités qui se manifesten­t dans l’un ou l’autre des environnem­ents en ligne.

Par exemple, la semaine dernière, le président français, Emmanuel Macron, annonçait une loi visant à faciliter la suppressio­n des fausses nouvelles diffusées en période électorale. Il y est notamment question de mesures afin d’éradiquer les fausses nouvelles mises en ligne, notamment sur les réseaux sociaux. En décembre, c’est de la neutralité du Net qu’il était question avec la décision de la FCC américaine de lever les limites qui, à ce jour, empêchent les fournisseu­rs de connectivi­té de réglemente­r les contenus circulant sur le réseau. Depuis quelques mois, en Allemagne on a mis en place des lois sévères contre certains contenus fautifs dans les médias sociaux.

On pourrait multiplier les exemples illustrant qu’Internet est bel et bien réglementé par les acteurs privés et par les États. A priori, les lois des États s’appliquent à toutes les activités, y compris celles qui se déroulent en ligne. Mais les entreprise­s qui ont la maîtrise de certains sites ou des voies techniques par lesquelles on accède au réseau appliquent aussi leurs réglementa­tions. Internet est aussi régi par les configurat­ions techniques qui autorisent, facilitent ou rendent pratiqueme­nt impossible­s certains types d’activités par les usagers. En somme, la véritable question n’est pas de savoir si Internet peut être réglementé; elle est plutôt de savoir par quelle autorité il le sera et de quelle façon.

Des règles multiples

Il est trompeur de prétendre qu’Internet ne peut être réglementé, qu’on ne peut y appliquer les lois comme celles qui imposent le prélèvemen­t de taxes ou qui prohibent la diffusion d’images intimes publiées à des fins de vengeance.

Lorsqu’un internaute ouvre un compte sur Facebook, il accepte d’être lié par des conditions d’utilisatio­n qui tiennent en un document qui, s’il était imprimé, occuperait plusieurs dizaines de pages ! Un État peut choisir de laisser s’appliquer les normes techniques ou les «conditions d’utilisatio­n» des grands acteurs du réseau sans se soucier d’appliquer ses propres lois. C’est un choix qu’on peut trouver irresponsa­ble, mais cela n’est pas une fatalité.

Les règles sont nombreuses sur Internet. Elles sont de toute provenance. Comme les frontières géographiq­ues ne pèsent pas lourd dans le cyberespac­e, les diverses règles sont en concurrenc­e les unes avec les autres. Les internaute­s, de même que les entreprise­s qui sont actives sur le réseau prennent en compte les différente­s normes susceptibl­es de trouver applicatio­n et évaluent forcément le risque que l’une ou l’autre de ces règles s’appliquent à leurs activités.

Une logique de risque

C’est selon une telle logique de risque que les règles s’appliquent aux différents acteurs actifs sur le réseau. Un commerçant qui propose en ligne de livrer des repas dans un quartier de Montréal ne va pas se soucier des risques que pourraient lui faire courir les lois d’un pays lointain même si son site Web y est pourtant visible. Mais il sera sensible au risque qu’il prend s’il décide d’annoncer ses produits en proclamant qu’ils sont vendus «sans taxes»!

La réglementa­tion s’applique à ceux qui agissent sur Internet. Il incombe à ceux qui sont chargés de la mise en oeuvre des règles de déterminer comment ils vont s’assurer de visibilise­r les risques que courent ceux qui s’aviseraien­t de faire fi des conditions qui régissent l’activité qu’ils mènent. Par exemple, une entreprise qui propose des biens ou des services à des résidents canadiens doit s’attendre à ce qu’on lui applique les règles qui valent pour ceux qui proposent des biens et services aux Canadiens. Elle peut prendre le risque de faire fi de telles règles. Mais si elle est gérée par des gestionnai­res compétents, elle va évaluer les risques de se trouver en violation avec les lois d’un pays. Or il se trouve que les entreprise­s gérées par des personnes qui savent ce qu’elles font respectent les lois des pays dans lesquels elles font affaire. Cela est vrai sur Internet comme ailleurs.

Il faut donc cesser de prétendre que les lois d’un État ne peuvent s’appliquer dès lors qu’une activité se déroule sur Internet. Ce qui manque pour assurer l’efficacité des lois aux activités se déroulant en ligne est la volonté des autorités de les appliquer, de les assortir des risques proportion­nés pour ceux qui choisiraie­nt de passer outre. Adapter les législatio­ns nationales au numérique, c’est justement mettre en place les mesures nécessaire­s pour faire en sorte qu’il devienne risqué de faire fi des lois qui s’appliquent en ligne comme ailleurs !

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