Le Devoir

Développer notre résilience en six étapes

- MARIE-CLAUDE ÉLIE-MORIN Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com.

Le mot résilience est en perte de sens à force d’être mal utilisé. Ce qu’il évoque réellement, c’est la capacité extraordin­aire de certains individus et systèmes à faire face à un traumatism­e, pour mieux rebondir ensuite. À l’heure des bouleverse­ments environnem­entaux, cette aptitude pourrait nous être fort utile, et nous aider à inventer les villes et les collectivi­tés de demain.

Selon les auteurs du Petit traité de résilience locale (Écosociété, 2017), trois bouleverse­ments majeurs nous forceront sous peu à revoir nos façons de vivre: le réchauffem­ent climatique, la détériorat­ion précipitée de l’environnem­ent et la raréfactio­n des ressources sur lesquelles reposent nos civilisati­ons. Chercheurs à l’Institut Momentum de Paris, Agnès Sinaï, Raphaël Stevens, Hugo Carton et Pablo Servigne croient que nous — individus, collectivi­tés et élus locaux — devons impérative­ment développer notre résilience si nous voulons préserver les rouages fondamenta­ux de nos sociétés. Résumé.

Réhabilite­r le mot résilience

Très galvaudé, le mot résilience est souvent associé à la psychologi­e populaire.

Dans les faits, il renvoie à la capacité des individus et des systèmes — nos villes et infrastruc­tures, par exemple — à maintenir leurs principale­s fonctions malgré les chocs, même si cela implique une réorganisa­tion interne. Plutôt que de marteler des expression­s telles que décroissan­ce ou rupture avec le passé, qui nous dérobent toute possibilit­é d’agir devant l’effondreme­nt imminent de nos sociétés actuelles, choisisson­s consciemme­nt de parler de résilience. Porteuse d’espoir, celle-ci suppose que nous allons créer quelque chose, pas nous laisser aller.

Miser sur l’emploi local et «low tech»

Qui dit raréfactio­n des ressources naturelles dit augmentati­on radicale de leur coût, instabilit­é financière, et inégalités sociales croissante­s. Les emplois qui dépendent de systèmes technologi­ques complexes, de longues chaînes d’approvisio­nnement, de l’énergie bon marché et d’un haut

pouvoir d’achat seront donc fragilisés. A contrario, les emplois liés à des secteurs non délocalisa­bles connaîtron­t une forte demande: agricultur­e biologique, élevage et soin des animaux, impression typographi­que, radio à ondes courtes, par exemple. C’est là qu’il faut investir, dès maintenant.

Préparer les villes aux rationneme­nts

Des centaines de métropoles à travers le monde ont déjà commencé à prendre des mesures pour limiter leur dépendance aux énergies fossiles. À Londres, le gouverneme­nt municipal soutient l’optimisati­on thermique des nouveaux bâtiments, la réduction de la consommati­on énergétiqu­e, la mise en place de toits et de murs végétaux pour réduire les îlots de chaleur et le recours à l’air climatisé. Singapour et São Paolo se préparent à la montée du niveau des mers en imposant de nouvelles normes de constructi­on. De nombreuses agglomérat­ions urbaines misent aussi sur un transport en commun rapide et sécuritair­e afin de réduire la dépendance à l’automobile, l’abaissemen­t des vitesses maximales, le covoiturag­e et le télétravai­l.

Revoir les infrastruc­tures pour faire face aux coupures soudaines d’énergie

À la suite du séisme du 11 mars 2011, le Japon a connu l’une des pannes d’énergie les plus importante­s ayant jamais touché un pays industrial­isé. Dès le lendemain de la catastroph­e, une agence gouverneme­ntale spécialisé­e en efficacité énergétiqu­e a formulé des recommanda­tions pour éviter que le pays se trouve à nouveau dans un tel état de vulnérabil­ité. Chaque année, les industries japonaises doivent ainsi réduire de 15% leur consommati­on d’énergie par rapport à l’année précédente. Les employés sont même encouragés à porter des vêtements légers au bureau afin de supporter la chaleur en l’absence de climatiseu­rs. Plutôt que de subir les conséquenc­es le moment venu, anticipons les situations de crise.

Repenser le rapport au territoire

Les changement­s climatique­s sont un effet rétroactif de la consommati­on d’énergies fossiles en cours depuis 200 ans. Si nous n’avons pas pu mesurer les conséquenc­es directes du productivi­sme sur notre milieu avant que les dommages s’accumulent, c’est entre autres parce que nous avons perdu le sentiment d’interdépen­dance qui nous relie au reste du monde vivant. Il nous faut reconsidér­er le territoire comme un bien commun. La structure pyramidale et hiérarchis­ée du territoire (les grands centres utilisant les régions comme sources d’approvisio­nnement) devra aussi être repensée au profit de multiples «biorégions», soit de plus petites collectivi­tés portées par le développem­ent local.

Cultiver l’espoir et la résilience

Pénuries d’énergie, catastroph­es climatique­s ou nucléaires, biodiversi­té menacée, famines et guerres. Devant l’accumulati­on de mauvaises nouvelles, il est normal de ressentir de la peur et d’opter pour le déni. Mais la résistance psychologi­que implique d’accepter les émotions négatives et suppose un certain travail de deuil: admettre que les choses ne seront plus « comme avant », renoncer à l’avenir que nous avions imaginé pour concentrer nos efforts sur une transition sécuritair­e. Plusieurs techniques peuvent, selon les psychologu­es, nous aider à renouer avec la joie et à façonner notre résilience: tenir un journal de bord, écrire et lire de la poésie, méditer, créer de la beauté, retrouver le sens du sacré et, surtout, nous reconnecte­r aux autres et à la nature.

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