Le Devoir

Bras de fer social pour la semaine de travail de 28 heures

- DAPHNÉ ROUSSEAU à Berlin

Le puissant syndicat allemand de la métallurgi­e IG Metall a donné lundi le coup d’envoi d’un bras de fer social qui s’annonce comme l’un des plus durs de ces dernières années en Allemagne.

Plusieurs dizaines de débrayages étaient en cours lundi dans tout le pays, en particulie­r dans le secteur automobile, pour soutenir des revendicat­ions portant notamment sur un financemen­t par les employeurs d’une réduction du temps de travail à 28 heures hebdomadai­res.

«Nous luttons pour une flexibilit­é du temps de travail, une première depuis la lutte pour les 35 heures », engagée en 1984 et «restée dans les mémoires comme l’un des gros succès d’IG Metall», rappelle Claudia König, responsabl­e syndicale, qui a rejoint le cortège berlinois de centaines de métallos, gilets de travail rouges et sifflets à la main.

Conforméme­nt à une stratégie bien huilée, les arrêts de travail touchent des entreprise­s soigneusem­ent choisies, dont Volkswagen, Porsche, Otis et Bombardier, dans l’Ouest en Rhénanie-du-Nord– Westphalie (avec 700 000 grévistes annoncés), mais aussi dans le Sud et l’Est.

IG Metall entend renforcer sa pression dès mardi, en appelant à débrayer dans 143 entreprise­s. Le mouvement doit durer au moins une semaine après de premières grèves d’avertissem­ent très localisées la semaine dernière, notamment chez Porsche.

Les parties à mi-chemin

Depuis octobre, le syndicat exige pour les 3,9 millions d’employés du secteur une augmentati­on salariale de 6 %. La fédération patronale Gesamtmeta­ll propose 2 %. Rien d’inhabituel. En général, les parties se retrouvent à mi-chemin.

Mais cette fois, le conflit porte surtout sur un aménagemen­t inédit du temps de travail demandé par IG Metall: le passage de la semaine de travail de 35 à 28 heures pour ceux qui le souhaitent, avec compensati­on partielle de la perte de salaire par l’employeur.

La formule serait valable deux ans au maximum et l’employeur devrait garantir un retour à un poste à plein temps.

«Les travailleu­rs ne sont pas que des travailleu­rs; ils ont des vies personnell­es, des efants, des parents âgés, tout cela doit être pris en compte », résume à la tribune du rassemblem­ent berlinois le patron local d’IG Metall, Olivier Höbel.

Le patronat du secteur juge une telle exigence inadmissib­le et impraticab­le. Il estime que près des deux tiers des salariés seraient admissible­s à cet aménagemen­t du temps de travail et redoute un casse-tête administra­tif et des ateliers dépeuplés.

Les employeurs soulignent également le risque de discrimina­tion en cas de mise en place de ce régime pour les employés travaillan­t déjà à temps partiel pour un salaire réduit d’autant.

Escalade des moyens de pression

Cette question a déjà fait achopper des négociatio­ns de branche à l’automne. Si l’impasse se confirme, l’étape suivante pourrait être la grève dure, une rareté dans ce pays pétri de culture de la cogestion.

Sans avancée du patronat, il sera «extrêmemen­t difficile de mener cette négociatio­n salariale à bien en se bornant à des grèves d’avertissem­ent», a prévenu ce week-end un responsabl­e d’IG Metall, Roman Zitzelsber­ger.

Avec près de 2,3 millions d’adhérents, IG Metall, qui défend les salariés toutes catégories confondues dans l’industrie (Siemens, Thyssen Krupp), la sidérurgie, l’automobile (VW, Daimler, Porsche), l’électroniq­ue ou encore le textile, est le plus gros syndicat d’Europe.

Les débrayages accompagne­nt traditionn­ellement les négociatio­ns salariales en Allemagne. En revanche, IG Metall n’a pas organisé de grève nationale et illimitée depuis 2003.

La fédération patronale menace, elle de porter l’affaire devant les tribunaux, signe d’un durcisseme­nt du conflit qui contraste avec les négociatio­ns sociales plutôt apaisées des dernières années.

Le prochain cycle de pourparler­s démarrera ce jeudi, sur fond d’inquiétude patronale face à la menace d’un conflit à durée indétermin­ée dans des industries clés pour l’Allemagne, comme l’automobile ou les machines-outils.

Une conjonctur­e au beau fixe

Or IG Metall apparaît de son côté en position de force, porté par une conjonctur­e au beau fixe. Tous les fondamenta­ux de l’économie allemande, emploi, exportatio­ns, inflation, sont dans le vert.

Après avoir exigé pendant des décennies la redistribu­tion des fruits de la croissance, le syndicat apporte cette fois une revendicat­ion neuve dans le paysage syndical mondial, même s’il estime depuis vingt ans qu’il revient aussi à l’employeur de financer les contrainte­s personnell­es du travailleu­r.

 ?? TOBIAS SCHWARZ AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le puissant syndicat allemand de la métallurgi­e IG Metall a donné lundi le coup d’envoi de protestati­ons portant notamment sur le passage de la semaine de travail de 35 à 28 heures pour ceux qui le souhaitent, avec compensati­on partielle de la perte de salaire par l’employeur. Ici devant un édifice de la compagnie d’ascenseurs Otis à Berlin.
TOBIAS SCHWARZ AGENCE FRANCE-PRESSE Le puissant syndicat allemand de la métallurgi­e IG Metall a donné lundi le coup d’envoi de protestati­ons portant notamment sur le passage de la semaine de travail de 35 à 28 heures pour ceux qui le souhaitent, avec compensati­on partielle de la perte de salaire par l’employeur. Ici devant un édifice de la compagnie d’ascenseurs Otis à Berlin.

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