Le Devoir

Feu, fureur, cirque et clowns

Le livre de Michael Wolff témoigne d’un chaos qu’il alimente lui-même

- FABIEN DEGLISE

Le pire n’est jamais certain. Et il s’amenuise même avec le temps.

C’est ce qu’on se dit après avoir replongé, à la faveur d’un petit ménage de bibliothèq­ue cette fin de semaine, dans le rapport de Kenneth Starr sur l’affaire Monica Lewinsky, mis en livre en 1998, après sa diffusion large et orchestrée sur le Web. Souvenez-vous : l’intimité de Bill Clinton y était dévoilée sous la plume du procureur indépendan­t chargé de faire la lumière sur les mensonges allégués du locataire d’alors de la Maison-Blanche autour d’une sombre histoire alliant pouvoir, stagiaire et adultère. L’image du président américain s’y faisait écorcher, tout comme le prestige de sa fonction, dans un tout dont la planète entière s’est gaussée pendant des mois.

Tout un cirque, oui, mais un cirque qui, presque 20 ans plus tard, prend désormais des allures de saynète un peu grossière au regard des 320 pages que le journalist­e américain Michael Wolff vient de porter à la connaissan­ce de ses contempora­ins sous le titre Fire and Fury: Inside the Trump White House. Le livre, en tête des ventes sur Amazon depuis sa sortie devancée de quatre jours vendredi dernier, se lit comme une étrange comédie politique qu’un Mike Judge (réalisateu­r du film Idiocracy et de la série télé Silicon Valley) aurait très bien pu concevoir. Il détaille tout l’absurde de la première année de présidence du magnat de l’immobilier et star de téléréalit­é Donald Trump.

Dans un paradoxe aussi inquiétant que savoureux, l’objet témoigne du chaos quotidien au sein de la Maison-Blanche, chaos que le livre lui-même entretient désormais: trois jours après la publicatio­n des bonnes feuilles par plusieurs quotidiens américains, Steve Bannon, éminence grise de Trump qui, dans les pages du livre de Wolff qualifie le fils du président, Donald fils, de «traître» pour avoir organisé une rencontre avec une représenta­nte du gouverneme­nt russe pendant la campagne électorale, s’est timidement distancié de ses propos dimanche. Il a parlé d’«informatio­ns inexactes» et rappelé que «Junior» est un «patriote et un homme bien», et ce, dans un geste très «bannonien » consistant à multiplier, d’après Wolff, les réalités dans l’espoir de mettre le bordel partout où il passe.

«Le chaos, c’est la stratégie de Steve », résume Katie Walsh, politicien­ne qui comme bien d’autres a fait un passage éclair au sein du gouverneme­nt Trump, à titre d’adjointe du directeur de cabinet Reince Priebius, avant de retourner, tout comme lui d’ailleurs, à une vie normale. Dans ce récit d’une présidence singulière, Bannon est dépeint en intrigant, en comploteur, à l’origine des fuites d’informatio­ns qui, depuis un an, éclabousse­nt le clan Trump. C’est lui qui aurait sorti de l’ombre cette rencontre compromett­ante entre Donald Trump fils, Jared Kushner et Paul Manafort avec l’avocate russe Natalia Veselnitsk­aya, le 9 juin 2016 dans une salle de conférence du 25e étage de la Trump Tower à New York.

« C’est pire que ce que vous pouvez imaginer, peut-on lire dans un courriel qui résume la pensée de Gary Cohn, ex-grand patron de la banque d’investisse­ment Goldman Sachs devenu directeur du Conseil national économique. Un idiot entouré de clowns. Trump ne lit jamais rien — pas une page de notes de service, de documents d’orientatio­n, rien. Il laisse des leaders internatio­naux à mi-rencontre parce qu’il s’ennuie. Et son personnel ne fait pas mieux. Kushner est un enfant qui ne connaît rien. Bannon est un con arrogant qui se croit plus brillant qu’il ne l’est.»

Selon un haut gradé de la Maison-Blanche cité par CNBC, Gary Cohn dément toutefois avoir tenu ces «propos ridicules».

Réalité ou réalité alternativ­e? Michael Wolff est devenu depuis vendredi ce messager qui attire autant sur lui les regards que les attaques pour son message, dont il assure pourtant qu’il est le fruit de conversati­ons menées dans les 18 derniers mois avec le président luimême, mais aussi avec son personnel et ses proches rencontrés dans la West Wing de la Maison-Blanche où, depuis le 20 janvier dernier, le journalist­e, un habitué des portraits politiques cultivant effet de style et spectacula­ire, assure avoir eu ses entrées. Un «livre bidon», a résumé Trump dont on évoque dans ces pages la difficulté à s’adapter à la vie au sein de l’illustre maison, les heures qu’il passe enfermé seul dans sa chambre, son rapport distant à sa femme, Melania, qu’il qualifie de «femme trophée», ou encore son rapport obsessif à la télévision — sa seule source d’informatio­n — et aux cheeseburg­ers — qu’il se fait acheter chez McDo pour être sûr de ne pas être empoisonné. Une psychologi­e d’un dirigeant — et d’un entourage fragile — qui révèle finalement un portrait aussi prévisible que cohérent avec les apparences, les tweets d’un président et le roulement de personnel à la Maison-Blanche, portrait d’une présidence dont on ne peut qu’espérer que le caractère improvisé, absurde et ridicule ne se dépréciera toutefois jamais avec le temps.

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JIM WATSON AGENCE FRANCE-PRESSE Donald Trump sur le point de monter à bord de l’avion présidenti­el en direction de Nashville, au Tennesse, le 8 janvier
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