Le Devoir

Iniquités salariales chez les recteurs

Les dix recteurs les moins payés sont ceux du réseau de l’Université du Québec. Lise Bissonnett­e réclame le ménage promis par la ministre David.

- MARCO FORTIER

Le ménage promis dans la rémunérati­on des recteurs se fait attendre. Résultat: le grand patron de l’Université Concordia gagne encore deux fois et demie le salaire de son homologue de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui compte pourtant 5000 étudiants de plus.

Faute de volonté politique, les dix établissem­ents du réseau de l’Université du Québec se démènent dans des conditions «lamentable­s» imposées par le gouverneme­nt, affirme Lise Bissonnett­e, présidente du conseil de l’UQAM.

Les dix recteurs les moins payés au Québec sont ceux du réseau de l’Université du Québec — réseau qui fête cette année ses cinquante ans.

Mme Bissonnett­e déplore le peu d’empresseme­nt de la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Hélène David, à remplir sa promesse de rétablir l’équité dans la rémunérati­on des recteurs. Ce manque de volonté trahit le «mépris» de la classe politique envers le réseau de l’Université du Québec, selon elle.

«C’est évident que, si on examine la rémunérati­on des recteurs et des cadres [d’université], c’est lamentable dans le cas de l’Université du Québec. On est dans l’iniquité absolument flagrante. À l’UQAM, c’est scandaleux, tout simplement », dit Lise Bissonnett­e au Devoir.

Univers parallèles

Les 10 établissem­ents du réseau de l’Université du Québec n’ont aucune marge de manoeuvre pour établir la rémunérati­on de leurs dirigeants,

rappelle la présidente du conseil d’administra­tion de l’UQAM. Le gouverneme­nt fixe par décret les conditions de travail des recteurs du réseau. Ce salaire correspond à la rémunérati­on d’un sous-ministre adjoint.

Résultat: la rémunérati­on des dirigeants du réseau de l’UQ oscillait entre 165 000$ et 198 000$ en 2015-2016, indiquent les données du ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur. Le salaire du recteur de l’UQAM — troisième université en importance pour le nombre d’étudiants — était de 197 374 $.

Les université­s à charte, qui ont toute la latitude pour déterminer la rémunérati­on de leurs dirigeants, évoluent dans un autre monde. Le recteur le mieux payé du Québec, Alan Shepard, de l’Université Concordia, a ainsi encaissé 444 857$ en 2015-2016. C’est plus de deux fois et demie le salaire de la rectrice de l’UQAM, Magda Fusaro, entrée en fonction cette semaine.

Même le recteur de la toute petite Université Bishop’s de Lennoxvill­e — effectif de 2744 étudiants — gagne 100 000 $ de plus que sa vis-à-vis de l’UQAM. À la prestigieu­se Université McGill, David H. Eidelman, vice-principal et doyen de la Faculté de médecine, est le cadre universita­ire le mieux payé au Québec avec une rémunérati­on globale de 451 112$ — plus que sa patronne, Suzanne Fortier, qui gagne 418 000$.

« Un mépris général »

Cette « iniquité flagrante » dans le traitement des hauts dirigeants d’université est «le symptôme d’un mal beaucoup plus profond», estime Lise Bissonnett­e. «C’est le mépris général, et ça vaut presque pour l’ensemble de l’Assemblée nationale, je dirais, à l’égard des université­s du réseau de l’Université du Québec. Et ça là, c’est clair, c’est net. Après cinq ans de présidence du conseil de l’UQAM, ça m’a frappé constammen­t, ça comprend tous les partis. Ce réseau-là, qui est un réseau extraordin­aire, souffre vraiment d’une sorte de… je cherche un autre mot que “mépris” et je ne trouve pas. »

Autre symptôme de ce «mépris», estime la présidente de l’UQAM: le réseau de l’Université du Québec a obtenu des «grenailles» en vertu du Fonds d’investisse­ment stratégiqu­e pour les établissem­ents postsecond­aires, créé par Ottawa et relayé au Québec par le gouverneme­nt Couillard. L’Université de Montréal a obtenu la part du lion, avec dix projets d’une valeur totale de près d’un demi-milliard de dollars.

La ministre Hélène David s’était engagée à déposer un projet de loi l’automne dernier pour faire le ménage dans la rémunérati­on des recteurs. Elle ne l’a pas fait. Pourquoi ? Prévoit-elle d’agir au cours de la prochaine session parlementa­ire ? « Le travail se poursuit actuelleme­nt, la ministre sera en mesure de faire connaître ses intentions dans les prochaines semaines», indique son cabinet.

En privé, des membres influents du milieu universita­ire se demandent si la ministre David cherche à ménager l’Université de Montréal, où elle a été professeur­e et vice-rectrice avant de se lancer en politique en 2014. Le recteur de l’UdeM, Guy Breton, gagne plus de 422 000$. Le vice-recteur le mieux payé de l’UdeM gagne 258 000 $. Le doyen de faculté le mieux rémunéré touche même un salaire de 344 000$ — nettement plus que la grande patronne de l’UQAM.

Dans l’entourage d’Hélène David, on affirme que la ministre se sent totalement libre d’arbitrer ce dossier. Mme David a refusé nos demandes d’entrevue.

Des sources estiment que la ministre mise notamment sur l’autodiscip­line des université­s, qui ont réduit les avantages financiers des recteurs. L’Université Laval a ainsi réduit l’indemnité de départ de sa nouvelle rectrice, Sophie D’Amours, qui aura droit à une année de salaire à la fin de son mandat. Son prédécesse­ur, Denis Brière, avait droit à une rémunérati­on six années après son départ.

Les salaires des recteurs soulèvent à coup sûr la controvers­e, mais ils sont plus modestes au Québec que partout ailleurs en Amérique du Nord. La rectrice la mieux payée au Canada, Indira Samaraseke­ra, de l’Université de l’Alberta, gagne 591 000 $, selon une compilatio­n de l’Associatio­n canadienne des professeur­es et professeur­s d’université. Les dix-sept dirigeants d’université les mieux payés au pays gagnent plus de 400 000 $, selon le document.

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