Un rapprochement coréen qui ne règle pas tout
Le rapprochement hautement symbolique intervenu mardi entre les deux Corées a fait descendre la pression à la veille des Jeux olympiques de Pyeongchang, mais il ne règle pas pour autant l’épineux dossier nucléaire nord-coréen.
Au terme d’une réunion de plus de dix heures, les responsables sud-coréens et nordcoréens ont accepté de se serrer la main, une scène qui n’avait pas été vue depuis décembre 2015. Ensemble, ils ont convenu que la Corée du Nord participera aux Jeux olympiques qui se tiendront en Corée du Sud du 9 au 25 février prochains, tout en promettant de faire le nécessaire pour apaiser les tensions ambiantes.
«Je pense que nous venons de franchir un premier pas dans le développement des relations Nord-Sud», a déclaré le leader de la délégation sud-coréenne, Cho Myoung-gyon, après les pourparlers, selon les images tournées dans le village frontalier de Panmunjom, où a eu lieu la rencontre.
«On se demandait si certains pays allaient se désister des Jeux olympiques à cause du climat politique, note le professeur de l’UQAM Yann Roche, un spécialiste de la géopolitique du sport. Heureusement, ça devrait faire baisser la tension. »
Selon les informations communiquées à la suite de la rencontre de mardi, la délégation nord-coréenne qui se rendra à Pyeongchang comprendra des athlètes, mais également des meneuses de claque, un groupe d’artistes, une équipe de démonstration de taekwondo et un ser vice de presse.
Reste à savoir si les deux Corées feront une entrée commune lors des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux, comme ce fut le cas
à Sydney en 2000, à Athènes en 2004 et à Turin en 2006.
Sur le front politique, les États voisins ont accepté « d’abaisser la tension militaire actuelle et de tenir des discussions militaires sur la question». Séoul et Pyongyang ont également décidé de rétablir une liaison téléphonique militaire qui avait été coupée en février 2016 afin d’améliorer la communication entre les armées de ces deux pays toujours techniquement en guerre.
La Corée du Nord a cependant refusé d’aborder le sujet de la dénucléarisation de la péninsule coréenne, comme l’a proposé sa voisine.
«On parle à tout le moins d’une porte qui s’ouvre pour un processus diplomatique plus avancé», observe Jean-François Bélanger, un chercheur de l’Université McGill affilié au Centre d’études sur la paix et la sécurité internationale.
« La vraie question ici est la question nucléaire, ajoute-t-il. Il faudra voir ce que le Nord et le Sud vont juger acceptables comme enjeux de négociation et comment les Américains vont réagir. »
Pour la durée des Jeux olympiques, il croit que le rétablissement de la liaison téléphonique militaire permettra d’éviter une escalade des tensions en cas d’événement imprévu.
Le face-à-face impliquant les deux Corées est survenu à la suite des nombreux essais nucléaires nord-coréens qui ont fait craindre le pire pour la sécurité régionale et internationale, en plus de provoquer une guerre de mots entre Kim Jong-un et le président américain, Donald Trump.
Le chef d’État nord-coréen a tendu la main à la Corée du Sud lors de son discours du Nouvel An. Il a accepté la tenue d’une réunion bilatérale lorsque Séoul et Washington ont annoncé la suspension de leurs exercices militaires conjoints jusqu’à la fin des Jeux paralympiques, le 18 mars.
Diplomatie du ping-pong
Ce n’est pas la première fois que le sport se trouve au coeur des tractations diplomatiques, fait remarquer le professeur Yann Roche, évoquant notamment l’épisode qu’on a surnommé la « diplomatie du ping-pong ».
En 1971, en pleine guerre froide, l’équipe américaine de tennis de table a rendu visite à l’équipe chinoise, pavant la voie à un réchauffement diplomatique entre les États-Unis et la Chine. «C’était une période très, très tendue entre les deux pays. Ce fut l’événement qui a favorisé le dégel des relations », souligne-t-il.
À cet exemple s’ajoutent tous les efforts déployés par différents pays pour utiliser le sport comme vitrine de leur puissance. «Ça a toujours été comme ça, affirme M. Roche. Même à l’époque des Jeux olympiques antiques, les athlètes représentaient leur cité. Il y avait déjà des implications politiques. »
Deux athlètes qualifiés
Sur le plan sportif, l’entente intervenue entre les deux Corées devrait permettre à une poignée d’athlètes nord-coréens de se mesurer aux meilleurs de la planète. Pour le moment, seul un couple de patineurs artistique s’est qualifié pour les Jeux, mais le Comité international olympique pourrait offrir des laissez-passer à d’autres athlètes.
Les attentes doivent cependant être modérées: les chances de médaille des patineurs Ryom Tae-ok et Kim Ju-sik — qui se sont entraînés à Montréal en performant sur la musique de Ginette Reno — sont pratiquement nulles, affirme l’analyste de patinage artistique Alain Goldberg.
«S’ils arrivent à entrer dans les qualifiés du programme libre [présenté après le programme court], ce sera un exploit.»
Il faut dire que la Corée du Nord n’est pas reconnue pour ses succès lors des Jeux olympiques d’hiver. Elle a participé aux compétitions hivernales de manière sporadique depuis les années 1960 et n’a remporté que deux médailles: une d’argent en patinage de vitesse longue piste en 1964 et une autre de bronze en patinage de vitesse courte piste en 1992.
Le pays a fait bien mieux lors des Jeux olympiques d’été en décrochant 54 médailles en 10 participations depuis 1972. Ses représentants sont surtout montés sur le podium en haltérophilie (17 médailles) et en lutte (10 médailles).
Pour Alain Goldberg, le simple fait que des athlètes d’un pays comme la Corée du Nord soient parvenus à se qualifier pour les Jeux de Pyeongchang représente un tour de force.
« C’est quand même extraordinaire que le patinage artistique contribue à la trêve olympique, dit-il. Si ça peut apporter la paix, tant mieux. Que les athlètes se battent à coups de lame dans la glace, c’est mieux qu’à coups d’épée. »