Le Devoir

Actualités › L’année de tous les dangers pour Trudeau. Une chronique de Konrad Yakabuski.

- KONRAD YAKABUSKI

Vous aimez Justin Trudeau. Vous l’aimez vraiment. En fait, les Québécois sont plus nombreux à trouver le premier ministre «sympathiqu­e» que les Canadiens de toute autre région du pays à l’extérieur les provinces atlantique­s.

Les trois quarts des Québécois interrogés par la firme Nanos Research en fin d’année disent considérer M. Trudeau comme sympathiqu­e ou plutôt sympathiqu­e, comparativ­ement à moins de la moitié des résidants des Prairies canadienne­s. En plus, c’est dans la belle province que les principaux adversaire­s de M. Trudeau — le chef conservate­ur Andrew Scheer et le chef néodémocra­te Jagmeet Singh — ont le moins la cote.

Les Québécois trouvant que M. Singh est sympathiqu­e sont plus nombreux que ceux qui pensent la même chose à l’égard de M. Scheer — 52% contre 38% —, mais ni l’un ni l’autre des chefs de l’opposition ne peut concurrenc­er la vraie vedette de la scène fédérale.

Les noms de Martine Ouellet et d’Elizabeth May, les chefs du Bloc québécois et du Parti vert, respective­ment, n’étaient pas inclus dans ce sondage. Mais à moins que Céline Dion ne décide de se lancer en politique, tout indique que M. Trudeau demeurera le plus aimé des chefs fédéraux au Québec en 2018.

L’amabilité n’est pas tout en politique. Même les partisans les plus farouches de Donald Trump peuvent le trouver détestable sur le plan personnel. Stephen Harper fut trois fois élu premier ministre malgré une image publique qui correspond­ait beaucoup plus à celle de Darth Vader qu’à celle de mère Teresa. Mais les électeurs sont toujours plus prêts à pardonner leurs erreurs aux politicien­s qu’ils aiment qu’à ceux pour lesquels ils ressentent des sentiments ambivalent­s.

C’est pourquoi les infraction­s à la Loi sur les conflits d’intérêts que M. Trudeau a commises (comme l’a conclu la commissair­e à l’éthique Mary Dawson juste avant de quitter ses fonctions) n’entameront probableme­nt pas la popularité personnell­e du premier ministre.

En revanche, les dossiers épineux tels que la légalisati­on du cannabis, les failles dans le système de paye Phénix et le sort de l’Accord de libre-échange nord-américain mettront à l’épreuve l’histoire d’amour entre M. Trudeau et les électeurs en 2018. C’est sur la question de sa compétence que son gouverneme­nt sera surtout jugé, et les Canadiens seront de moins en moins indulgents à son égard. Les ministres Mélanie Joly, Diane Lebouthill­ier, Kent Hehr, Maryam Monsef, Carolyn Bennett et Harjit Sajjan en ont amené plusieurs à remettre en question la compétence de l’équipe gouverneme­ntale en 2017, sans parler de Bill Morneau, le ministre des Finances qui a été partiellem­ent blanchi par Mme Dawson dans une autre enquête, mais qui peine encore à sortir de la controvers­e concernant la gestion de ses affaires personnell­es.

Or, le bureau du premier ministre ne semble pas vouloir faire un remaniemen­t ministérie­l qui ressembler­ait à un constat d’échec en évinçant ces membres.

Quant aux chefs de l’opposition, ils doivent profiter du calme relatif à Ottawa (les vraies luttes politiques auront lieu sur les scènes provincial­es au Québec et en Ontario en 2018, et en Alberta au printemps de 2019) pour renforcer leur emprise sur leur propre parti afin de mieux livrer la bataille électorale en octobre 2019. Il n’est pas certain qu’Andrew Scheer et Jagmeet Singh puissent passer l’épreuve. Les doutes persistent à l’intérieur de chacune des formations de l’opposition à l’égard des nouveaux chefs.

Non seulement M. Scheer et M. Singh peinent à se faire connaître par les Canadiens, chacun fait face à des défis particulie­rs.

Pour M. Scheer, il s’agit de mettre un visage plus moderne et ouvert sur son parti sans pour autant froisser la base conservatr­ice. La colère de cette dernière à la suite de l’évincement du caucus conservate­ur de la sénatrice Lynn Beyak pour des gestes considérés comme étant racistes envers les autochtone­s démontre à quel point la tâche sera difficile pour M. Scheer. Un chef plus imposant aurait peut-être plus de succès, mais M. Scheer semble jusqu’ici le plus effacé des chefs fédéraux. Il devra vite montrer du cran s’il veut rester en poste jusqu’aux élections de 2019.

Quant à M. Singh, sa décision de ne pas solliciter un siège à la Chambre des communes prive les électeurs de l’occasion de jauger sa performanc­e en tant que premier ministre potentiel face à celui qui occupe actuelleme­nt le poste. Qui plus est, les libéraux semblent vouloir répéter leur exploit de 2015 en misant sur une plateforme progressiv­e — la lutte contre les inégalités des revenus risque d’être le leitmotiv libéral de la prochaine campagne —, ce qui laissera peu de place au NPD.

Bref, il ne serait pas surprenant de voir M. Trudeau terminer l’année 2018 là où il l’a commencée: en tête dans les sondages et dans le coeur des Québécois.

Tout indique que M. Trudeau demeurera le plus aimé des chefs fédéraux au Québec en 2018

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