Le Devoir

Au tour du papier d’être frappé par des mesures punitives aux États-Unis

- ALEXANDER MARTINEZ, ALEX VASQUEZ à Caracas

Après 25 ans d’activité, la petite entreprise d’impression sur verre de Luis Briceño pourrait bientôt mettre la clé sous la porte: «Ce début d’année est criminel», juge-t-il, traduisant l’angoisse de millions de Vénézuélie­ns frappés par une crise économique hors de contrôle.

Avec une pénurie généralisé­e et une inflation attendue à 2350% en 2018, selon le FMI, cet entreprene­ur de 70 ans s’attend à des mois difficiles. Outre la matière première qui fait défaut, deux de ses trois employés sont sur le point de quitter le pays. En 2017, la hausse des prix a été de 2616%, selon le Parlement, contrôlé par l’opposition.

Ces dernières semaines, de petites manifestat­ions pour dénoncer le manque d’aliments ont eu lieu dans plusieurs villes. Une femme a été tuée par le tir d’un militaire alors qu’elle faisait la queue pour acheter de la viande de porc à prix subvention­né à la veille du réveillon du Nouvel An. Samedi, le gouverneme­nt a ordonné à des dizaines de supermarch­és de baisser leurs prix, provoquant des files d’attente monstres.

La dernière hausse de 40% du salaire minimum annoncée le 31 décembre par le président socialiste Nicolas Maduro vient compliquer encore plus les choses, estime M. Briceño.

«Quand j’ai vu l’annonce de l’augmentati­on, j’ai éteint la télévision. Je me suis dit: “Je ne veux rien savoir jusqu’en janvier.” […] Car cela revenait à se stresser à cet instant-là », raconte à l’AFP ce chef d’entreprise qui a eu jusqu’à 10 employés. «Cela me semble criminel, car si tu demandes aux propres ouvriers “Veux-tu une augmentati­on du salaire minimum du gouverneme­nt?” ils te répondent non, car le lendemain tout augmente», ajoute-t-il.

Pour tenter de faire face à cette inflation galopante, le président Nicolas Maduro a augmenté six fois le salaire minimum en 2017, la dernière fois le 31 décembre. Le revenu minimum intégral (salaire et bons alimentair­es) s’élève désormais à 797 510 bolivares, soit 238$US au taux officiel —

dans des bureaux de change où les billets verts sont quasiment introuvabl­es — et 6 $US au marché noir, considéré comme le taux de référence.

Quelque 13 millions de Vénézuélie­ns perçoivent le salaire minimum, sur une population active de 19,5 millions, selon le gouverneme­nt. Avec un tel revenu, on peut s’acheter 30 oeufs, un kilo de viande, un autre de sucre et un dernier d’oignons.

L’inflation est dans toutes les conversati­ons. Stupéfaits, les Vénézuélie­ns racontent comment ils voient leur monnaie se désintégre­r. «On achète toujours moins et le budget est limité à la nourriture», raconte à l’AFP David Ascanio, 50 ans, employé dans le tourisme.

Les experts estiment les hausses de salaire nécessaire­s dans un contexte d’hyperinfla­tion, mais elles sont inefficace­s si elles ne s’accompagne­nt pas d’autres mesures, comme la réduction de l’émission de monnaie afin de financer les dépenses publiques. « Le problème, ce n’est pas le cachet que tu prends, mais celui que tu ne prends pas [libéralise­r et rationalis­er l’économie et encourager la production privée]», juge l’économiste Luis Vicente Leon.

De son côté, le gouverneme­nt défend les hausses et attribue l’hyperinfla­tion à une «guerre économique» menée par la droite et les États-Unis pour faire chuter le président Maduro. Au Venezuela, le gouverneme­nt exerce un contrôle strict des devises.

Dans un pays où le pétrole rapporte 96% des revenus et très dépendant des importatio­ns, la chute des cours et de la production a conduit le gouverneme­nt à limiter fortement les achats externes, entraînant une pénurie d’aliments, de médicament­s et de matières premières.

Le Venezuela et l’entreprise pétrolière publique PDVSA ont été déclarés en défaut de paiement à cause de retards lors du règlement du capital ou des intérêts de la dette. Le syndicat patronal Fedecamara­s assure que l’industrie vénézuélie­nne fonctionne à 30 % de ses capacités à cause des contrôles et des expropriat­ions. Selon le FMI, le PIB s’est effondré de 12 % en 2017 et est attendu à –6 % en 2018.

Ce pays pétrolier, qui fut l’un des plus riches de la région, produisait jusqu’à 70% de ce qu’il consommait. En 2017, ce taux était de 30% grâce à des inventaire­s restants de fertilisan­ts et de grains, souligne le président du syndicat agricole Fedeagro, Aquiles Hopkins. «Pour 2018, on n’a rien», prévient-il.

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FEDERICO PARRA AGENCE FRANCE-PRESSE Une manifestat­ion contre les pénuries de nourriture avait eu lieu dans la capitale, Caracas, le 28 décembre.
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