L’idée d’une Journée nationale contre l’islamophobie crée malaise
Commémorer la tuerie à la grande mosquée de Québec par une Journée nationale d’action contre l’islamophobie déplaît à plusieurs partis politiques
Le débat sur une possible «Journée nationale contre l’islamophobie» prend une tournure sémantique. Plusieurs partis politiques, tant à Québec qu’à Ottawa, jugent le mot «islamophobie» trop fort et «trop chargé» pour que le 29 janvier 2017, jour où un tireur fou a tué six musulmans, porte ce combat.
«Oui, le mot “islamophobie” est chargé. Et je trouve qu’on a assez débattu de divisions autour de la présence de la religion au Québec», a déclaré au Devoir Agnès Maltais, députée péquiste et porte-parole de l’opposition officielle en matière de laïcité. Elle souligne au passage qu’il existe un Collectif canadien anti-islamophobie dont le porte-parole est Adil Charkaoui, une personnalité controversée.
La semaine dernière, le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) a demandé au gouvernement Trudeau de faire du 29 janvier plus qu’une simple journée de commémoration de la tuerie à la mosquée de Québec et de lui donner le titre de «Journée nationale d’action contre l’islamophobie», un peu comme le 6 décembre, jour de la tuerie de Polytechnique, est devenu une «Journée nationale d’action contre la violence faite aux femmes».
Le bureau de la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, a simplement indiqué mardi qu’il « prenait acte » de la proposition.
Québec solidaire est le seul parti qui appuie la création d’une telle journée. Mais le gouvernement libéral de Philippe Couillard ne ferme pas la porte. Quant à la Coalition avenir Québec, elle rejette l’idée d’une journée nationale d’action et estime suffisant que la tragédie soit commémorée.
« Il s’agit du geste intolérable d’une seule personne et non pas celui d’une société entière. Les Québécois sont ouverts et accueillants, ils ne sont pas islamophobes. »
Oui à une commémoration
En entrevue à Radio-Canada, Boufeldja Benabdallah, vice-président du Centre culturel islamique, s’est dit déçu des positions de la CAQ et du PQ.
«Jamais nous n’avons dit que les Québécois étaient islamophobes, jamais. C’est une mince partie et c’est sur cette mince partie qu’il faut travailler, qui fait beaucoup de bruit, beaucoup de mal, et qui a tué six personnes dans leur prière.»
Tous les partis sont toutefois d’accord pour que le 29 janvier soit réservé chaque année à la commémoration de l’attentat meurtrier de la mosquée de Québec.
«Soyons honnêtes, le meilleur outil qui va aller chercher l’appui de tous, c’est la commémoration», a affirmé Mme Maltais, du PQ. Elle souligne également que le gouvernement fédéral a attendu deux ans après la tuerie du 6 décembre 1989, soit en 1991, pour en faire une Journée nationale d’action contre la violence faite aux femmes.
L’historien de l’Université Laval Patrice Groulx soutient qu’il vaut mieux d’abord passer par l’étape de la commémoration, soit du deuil, en soulignant la mémoire d’un événement. «Il y a une forme de précipitation là-dedans qui pourrait être désagréable pour certains, a-t-il indiqué. Certains groupes veulent soulever la chose pour profiter d’un certain “momentum”, et c’est tout à fait légitime. Mais il y a la manière, les mots. Il faut être prudent.»
Une commémoration d’un événement meurtrier tragique ne se traduit pas toujours en «journée nationale d’action» — l’explosion du train à Lac-Mégantic par exemple —, mais M. Groulx reconnaît que la tuerie de la mosquée a le potentiel d’en devenir une, comme ce fut le cas pour Polytechnique sous la pression populaire.
«Avec le temps, on donne un contenu, une signification différente à un événement. C’est le dépassement social.»
Même malaise au fédéral
Demeurés silencieux jusqu’ici, les partis politiques au fédéral, sauf le Nouveau Parti démocratique, se sont finalement prononcés. Encore une fois, le mot «islamophobie» semble créer un malaise.
«Ce terme-là est loin de faire consensus», a indiqué Gérard Deltell, en refusant obstinément de prononcer ce mot tout au long de l’entrevue avec Le Devoir. Le Parti conservateur préfère parler d’une commémoration, «plus rassembleuse» et «plus inclusive», lui qui avait déposé une motion à la mi-décembre proposant de faire du 29 janvier la «Journée nationale de la solidarité avec les victimes d’actes d’intolérance et de violence antireligieuse ».
La même querelle sémantique avait divisé les partis fédéraux lorsque, dans la foulée des attentats de la mosquée de Québec, la libérale Iqra Khalid a voulu faire adopter l’an dernier une motion qui condamnait l'«islamophobie». Les conservateurs refusaient là encore d’utiliser ce terme et voulaient plus largement que soient condamnées «toutes formes de racisme systémique», pas seulement celle à l’endroit des musulmans.
Le Bloc québécois rejette aussi l’idée d’une commémoration qui cible une religion précise. Après tout, l’État doit être laïque, a fait valoir la députée Marilène Gill.