Le Devoir

« J’ai été parmi les chanceux ! »

Des chercheurs rendent hommage à Jacques Genest, pionnier de la recherche clinique au Québec

- PAULINE GRAVEL

Le Dr Jacques Genest, un pionnier de la recherche clinique au Québec, s’est éteint le 5 janvier dernier à l’âge de 98 ans.

Fondateur de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM), M. Genest a aussi créé le premier centre de bioéthique au Canada tout en effectuant des découverte­s scientifiq­ues majeures qui ont permis de soigner l’hypertensi­on.

Né à Montréal le 29 mai 1919, le Dr Genest obtient son doctorat en médecine à l’Université de Montréal. Après une formation en médecine interne à l’Hôtel-Dieu, il part se spécialise­r en endocrinol­ogie et en néphrologi­e et effectuer des recherches à l’hôpital Johns Hopkins de Baltimore, à la Harvard Medical School et finalement à l’Institut Rockefelle­r de New York.

Il rentre à Montréal en 1952 et crée un départemen­t de recherche clinique à l’Hôtel-Dieu.

«Il devient alors le premier médecin à être salarié et à se consacrer à la recherche. Ce statut unique à l’époque est mal accueilli par le corps médical, qui l’interprète comme l’entrée de la médecine socialiste entre les murs sacrés de l’Hôtel-Dieu», relate le Dr Michel Chrétien, âgé de 81 ans, qui a effectué son premier stage de recherche avec le Dr Genest en 1960.

« Le Dr Genest fut plus qu’un pionnier de la recherche clinique de niveau internatio­nal au Québec, il en fut un pilier!»

Manquant d’espace à l’Hôtel-Dieu, le Dr Genest sollicite en 1963 l’aide du gouverneme­nt pour ériger un institut en face de l’hôpital.

«Ne pensant pas qu’à lui, mais à tous ses confrères du Québec, il s’investit alors dans la création du Conseil de la recherche médicale du Québec, aujourd’hui devenu le Fonds de recherche du Québec – Santé, qui fut le premier organisme subvention­naire provincial au Canada», rappelle le Dr Chrétien.

S’inspirant du modèle de l’Institut Rockefelle­r, il fonde en 1967 l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) qui est indépendan­t de l’Université de Montréal et du CHUM, tout en y étant affilié.

«Il voulait réunir sous un même toit les deux solitudes de la classe médicale, des fondamenta­listes qui étaient à l’université en haut de la côte et des médecins-cliniciens en bas de la côte, et ce, afin de favoriser une meilleure collaborat­ion entre eux et ainsi d’accroître les découverte­s», précise-t-il.

Il invite alors des chercheurs, dont les Dr Chrétien, Jean Davignon et André Barbeau qu’il avait supervisés quelques années plus tôt, à intégrer l’IRCM, où ils pourront mener leurs recherches «en toute liberté».

«J’ai été parmi les chanceux!» lance le Dr Chrétien, qui considère le Dr Genest comme son «premier mentor» et qu’il qualifie de «visionnair­e doté d’une grande force de conviction, ainsi que d’une déterminat­ion hors du commun ».

«Papa a été inspiré et façonné par l’approche scientifiq­ue et objective de précision basée sur l’innovation et la revue par les pairs des grands centres américains, plus que par l’approche dogmatique qui prévalait alors en Europe, où l’autorité du professeur ne pouvait être contestée», affirme pour sa part le Dr Jacques Genest fils, chercheur au Centre universita­ire de santé McGill.

Grandes découverte­s

Le Dr Genest concentre ses efforts de recherche sur l’hypertensi­on «à un moment où les gens en mouraient faute d’un médicament. Les connaissan­ces acquises par ses recherches ont permis à des compagnies pharmaceut­iques de concevoir des médicament­s qui sont aujourd’hui tellement efficaces qu’on ne meurt plus d’hypertensi­on», affirme le Dr Chrétien.

Ses découverte­s ont aussi permis de comprendre le rôle des reins et du sel dans l’hypertensi­on. «Une de ses découverte­s, qui fut totalement fortuite, est celle d’une petite protéine, le facteur natriuréti­que auriculair­e, qui permet au rein d’excréter le sodium et ainsi d’abaisser la pression artérielle», explique le Dr Jacques Genest fils, avant d’ajouter qu’une autre de ses plus grandes contributi­ons fut la création en 1976, au sein de l’IRCM, du premier centre de bioéthique au Canada.

«Mon père était un grand scientifiq­ue, mais en même temps profondéme­nt religieux. Il avait réalisé que les recherches en génétique moléculair­e avaient un potentiel énorme de découverte­s, mais aussi d’abus, notamment par le truchement des technologi­es de fécondatio­n in vitro. »

Éric Racine, directeur actuel de l’Unité de recherche en neuroéthiq­ue de l’IRCM, est «admiratif devant cet homme de médecine et de science qui a été visionnair­e et avant-gardiste en insérant un nouveau domaine qui en était à ses balbutieme­nts dans son institut dédié à la recherche ».

Même s’il a cédé la direction de l’IRCM au Dr Chrétien à l’âge de 65 ans, le Dr Genest a continué d’y venir tous les jours jusqu’à 92 ans.

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COLLECTION PRIVÉE Le Dr Jacques Genest s’est éteint le 5 janvier dernier à l’âge de

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