Le Devoir

Bêtise bureaucrat­ique

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Le ministère de la Famille a décidé de restreindr­e considérab­lement la tolérance qui permet aux centres de la petite enfance (CPE) et aux garderies subvention­nées de retarder en septembre le transfert vers le service de garde ordinaire des bambins de la pouponnièr­e qui ont atteint l’âge de 18 mois. Il s’agit d’une décision bureaucrat­ique aberrante, fondée sur aucune donnée probante, une mesure qui, de surcroît, ne procure que des économies de bouts de chandelle.

En mai 2012, la ministre de la Famille Yolande James annonçait fièrement que les enfants pouvaient rester à la pouponnièr­e jusqu’à l’âge de 29 mois, alors que la tolérance accordée était alors de 23 mois. Elle réglait ainsi le problème des « bébés nés au printemps », évitant que les parents de ces bébés ne puissent trouver de places pour leurs rejetons. Un rapport d’évaluation du ministère avait recommandé l’applicatio­n de cette nouvelle tolérance administra­tive.

La problémati­que était la suivante. L’âge minimal pour fréquenter la garderie est fixé à 18 mois. Les enfants de moins de 18 mois doivent aller à la pouponnièr­e, où les ratios éducatrice-enfants sont plus élevés, ce qui entraîne des coûts additionne­ls de l’ordre de 19 $ par poupon dans un CPE. Si, en septembre, un parent inscrivait son enfant de 16 mois, par exemple, à la pouponnièr­e, il franchissa­it le seuil des 18 mois deux mois plus tard. Mais il restait à la pouponnièr­e jusqu’au mois de septembre suivant. Le CPE ou la garderie devait assumer un manque à gagner quand les 23 mois de l’enfant sonnaient. Pour éviter les pertes financière­s, CPE et garderies refusaient bien souvent d’accueillir les poupons âgés de 15 à 17 mois, une pratique qu’on a réussi à corriger mais qui risque maintenant de revenir. Le ministère a décidé qu’en 2018, le nombre d’enfants de 18 à 29 mois à la pouponnièr­e devra baisser : près de la moitié d’entre eux devront être transférés en cours d’année, sans attendre la compositio­n des groupes en septembre. À défaut de quoi les subvention­s seront réduites.

La valeur de ces subvention­s majorées pour les enfants de plus de 18 mois à la pouponnièr­e s’élève à 17,5 millions, selon le rapport de 2012, sur un budget total de 2,5 milliards pour les ser vices de garde subvention­nés.

À l’Associatio­n québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) et l’Associatio­n des garderies privées du Québec (AGPQ), on n’arrive pas à comprendre la décision du ministère.

Intégrer dans des groupes ordinaires des enfants issus de la pouponnièr­e en cours d’année — tous les mois, si on suit la logique bancale du ministère — signifie qu’il faut déplacer des enfants dans chacun des autres groupes pour accueillir les nouveaux. C’est l’effet domino.

Au ministère, on avance que les enfants à la pouponnièr­e qui ont dépassé l’âge de s’y retrouver n’ont pas accès à un programme éducatif et à du matériel qui leur sont adaptés. L’argument ne tient pas: les éducatrice­s s’adaptent aux enfants à mesure que ceux-ci vieillisse­nt. Qu’ils vieillisse­nt ensemble, peuton ajouter. Le ministère ne dispose d’ailleurs d’aucune donnée qui montrerait qu’il y a un problème.

Il semble que des fonctionna­ires, du haut de leur tour d’ivoire, croient pouvoir faire mieux que les CPE sur le terrain. À moins qu’il ne s’agisse d’une bête compressio­n budgétaire. Dans les deux cas, le nouveau ministre de la Famille, Luc Fortin, qui a su démontrer dans le passé qu’il avait du jugement, doit tuer dans l’oeuf cette ineptie bureaucrat­ique.

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ROBERT DUTRISAC

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