Blade Runner devra passer son tour
Hollywood n’a jamais brillé par son avant-gardisme, mais le royaume du décolleté plongeant a brillamment relevé le défi, dimanche dernier, lors de la cérémonie des Golden Globes. Se transformant en porte-étendard de la révolte des femmes au sein de l’industrie du cinéma et de la télévision, l’événement a confirmé le «glissement tectonique dans les structures de pouvoir de notre industrie», comme l’affirmait la comédienne émérite Frances McDormand. Plus tard, la reine de la soirée, Oprah Winfrey, en rajoutait: «Je veux que toutes les jeunes filles sachent qu’un nouveau jour point à l’horizon ! »
Mais la soirée a fait plus que céder la parole à des femmes en verve. Les 90 représentants du Hollywood Foreign Press, à l’origine de ces prix, ont également salué des oeuvres explorant, pour une fois, l’univers féminin. Les «grands gagnants» de la soirée, Big Little Lies, Three Billboards Outside Ebbing, Missouri et The Handmaid’s Tale, racontent tous des histoires de femmes abusées qui tentent de s’en sortir. Citant Margaret Atwood, la comédienne Elizabeth Moss, récompensée pour son rôle dans la télésérie signée par l’auteure canadienne, l’a dit mieux que quiconque: «Nous ne vivons plus en marge de l’histoire, nous ne sommes plus des entre-les-lignes; nous sommes l’histoire du jour et nous écrivons l’histoire nous-mêmes. »
Alors ne nous demandons plus pourquoi Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve est resté sur la touche. Le film a été entièrement boudé par les Golden Globes et pourrait l’être également aux Oscar, sauf dans des catégories secondaires (effets spéciaux, direction photo). À juste titre, je dois dire. Sans nier le génie de Villeneuve de créer des images impérissables, de parler — à l’instar d’un autre grand artiste québécois, Robert Lepage — en symboles, cette histoire, malgré ses autos volantes et ses hologrammes géants, est davantage tournée vers le passé que le futur. Le film carbure aux vieux stéréotypes et pourrait bien passer à l’histoire comme le film-culte d’un certain imaginaire masculin qui tourne à vide: celui de gros bolides et de grosses catastrophes, de belles filles qui n’ont qu’une envie, vous faire l’amour ou vous arracher la tête, c’est selon, sans oublier l’éternelle conquête de nouveaux horizons.
À travers toutes ces formules usées, on perçoit une thématique plus riche, plus innovante, celle de la destruction de la planète, de l’étiolement de la vie, de la robotisation des rapports humains. On soupçonne que c’est vraiment là que loge Denis Villeneuve, au coeur de cette fable beaucoup plus poétique que futuriste, beaucoup plus triste que réjouissante, mais où l’objectif est malheureusement raté à cause, justement, du véhicule supra macho qu’il doit emprunter pour raconter son histoire. La sciencefiction est, trop souvent, une affaire de «gros boutons nucléaires» et de belles pépées intergalactiques, le fantasme adolescent à son meilleur, et Blade Runner no 2, malgré une allure décidément Leonard Cohen, lente, grave et déprimante à souhait (un film «pour s’ouvrir les veines», pourrait-on ironiser), en est irrémédiablement teinté. Pour ne rien dire du héros (Ryan Reynolds), beau brumeux qui parle peu, ressent encore moins (c’est un semi-robot, après tout), joue comme ses pieds et par rapport auquel on demeure parfaitement indifférent.
Comment se surprendre alors que les jeunes, par manque d’action, et les femmes, par manque d’identification, aient boudé le film ? Le contraste ne pourrait pas être plus frappant, en fait, entre ces combats hyper technos de l’espace, girlies à l’appui, et la dure réalité de combien de femmes encore aujourd’hui. Qu’il s’agisse de la violence conjugale dans Big Little Lies, de l’embrigadement du corps des femmes dans The Handmaid’s Tale ou de la colère d’une mère après le viol et la mort de sa fille dans Three Billboards, on tombe ici tête première sur le plancher des vaches, dans des sujets qu’on croyait connaître mais qui, faute de femmes réalisatrices et scénaristes, ont encore trop peu été racontés à l’écran. À noter que la fabuleuse fantaisie signée Guillermo del Toro (La forme de l’eau) — primée pour sa réalisation dans une catégorie qui ne comptait d’ailleurs que des hommes — est un testament également au désir d’une femme éprouvée par la vie d’échapper à son lot.
Aux Golden Globes, le changement de paradigme en faveur des préoccupations des femmes était à trancher au couteau. Cette révolution culturelle connaîtra-t-elle, maintenant, une suite ?
On peut toujours prier.
Les Golden Globes seraient-ils un avant-goût d’une révolution culturelle en devenir ?