Le Devoir

Sale temps pour les démocratie­s

- MARC SIMARD Historien et juriste Québec

Lannée 2018 n’augure rien de bon pour les régimes démocratiq­ues et pour l’idée même de représenta­tion politique : les États-Unis sont gouvernés par une star médiatique qui a parasité leur système politique et s’emploie à le discrédite­r ; les démocratie­s européenne­s sont menacées par l’extrême droite ou par les tensions centrifuge­s; les dictatures fleurissen­t tandis que les pays qui émergent sont dirigés par des régimes autoritair­es; et, plus globalemen­t, les électeurs font de moins en moins confiance aux élites traditionn­elles pour les représente­r.

Ce que nous vivons actuelleme­nt est une crise de la représenta­tion politique, plusieurs citoyens ayant cessé de croire que les élites qui gouvernent les régimes démocratiq­ues les représente­nt vraiment et ont à coeur la véritable défense de leurs intérêts.

Cette crise procède de plusieurs facteurs: la création d’Internet et des réseaux sociaux, qui a libéré un certain discours rageur et même haineux, et permis la multiplica­tion des fake news ; la critique incessante des médias, traditionn­els ou autres et partisans ou non, à l’endroit de la classe politique, globalemen­t présentée comme jouisseuse, incompéten­te et corrompue; le martèlemen­t incessant par la gauche du discours contre les inégalités sociales et par la droite de celui contre l’État interventi­onniste; et un certain désenchant­ement envers les régimes démocratiq­ues, qui, après des promesses de lendemains qui chantent à la suite de l’écroulemen­t du bloc soviétique vers 1990, n’ont pas visiblemen­t réduit les inégalités et réglé les problèmes de fonctionne­ment de l’État.

La question de la représenta­tion politique ne date pas d’hier. Les partisans de la démocratie directe, souvent influencés par les écrits de Jean-Jacques Rousseau, ne croient pas que des élus puissent représente­r le peuple et prônent une démocratie directe assortie de divers mécanismes de rotation des responsabi­lités, comme dans l’Athènes antique. Mais outre le fait que cette dernière ne concernait que les mâles nés de père et de mère athéniens (moins de 10% de la population), les tentatives pour mettre en place des démocratie­s participat­ives ont toutes lamentable­ment échoué. La gauche marxiste a cru pouvoir contourner ce problème en faisant du Parti l’avant-garde éclairée du peuple, qui gouvernera­it dans son intérêt et en son nom. Les innombrabl­es victimes des régimes concentrat­ionnaires auxquels cette vision politique a donné naissance pourraient témoigner de son ineptie.

Graves dangers

Concrèteme­nt, cela signifie que la plupart des régimes démocratiq­ues sont actuelleme­nt menacés et risquent d’être écartés ou détournés. Cette menace prend trois formes: d’abord, l’utopie rousseauis­te de la démocratie directe, ou léniniste de la symbiose entre le peuple et une avant-garde éclairée, qui séduit toujours mais qui débouche fatalement sur la dictature d’un groupe ou d’un parti; en second lieu, la prise du pouvoir, à la suite de graves tensions politiques et possibleme­nt même d’une guerre civile, par un mouvement qui vise à rétablir l’ordre par la mise en place d’un pouvoir autoritair­e, personnel ou oligarchiq­ue, un péril toujours présent; et enfin, le populisme, un individu qui s’adresse au peuple par-dessus les élites traditionn­elles, réussissan­t à convaincre les électeurs de l’élire, ce qui peut mener à des dérives néfastes. Ces trois potentiali­tés, dont existent des exemples actuels ou historique­s, comportent de graves dangers pour nos droits et libertés.

La démocratie représenta­tive, la seule qui ait fonctionné jusqu’ici malgré ses vicissitud­es, repose sur la capacité des élites qui gouvernent à convaincre les citoyens que le régime fonctionne en leur faveur et que les élus les représente­nt véritablem­ent. Cette capacité gîte dangereuse­ment. Il faut impérative­ment la rétablir pour redonner de la vigueur à l’idée même de démocratie et préserver les droits acquis par les citoyens au moyen de luttes séculaires remontant au Moyen Âge. Tous, des citoyens aux élus, en passant par la gent médiatique, doivent aujourd’hui se regarder dans le miroir et se demander ce qu’ils peuvent faire pour rétablir la confiance générale dans nos institutio­ns. Demain, ce pourrait être trop tard.

Tous doivent se demander ce qu’il faut faire pour rétablir la confiance générale dans nos institutio­ns

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