Le Devoir

Les suites de #MeToo

- ISABELLE BOISCLAIR Professeur­e de littératur­e et d’études culturelle­s à l’Université de Sherbrooke

La vague de #MeToo, dit-on, a changé la donne. On l’espère fortement, malgré les ressacs inévitable­s que toute vague engendre. Cela dit, on espère aussi — et surtout — qu’elle permettra aux femmes de se sentir enfin légitimes de revendique­r ce à quoi elles ont droit. Non pas seulement, donc, de crier haut et fort et de dénoncer les cas de harcèlemen­t et d’agression sexuelle, ce qu’il faut bien sûr continuer de faire, mais également de revendique­r un espace exempt de domination masculine, partout, en tout temps.

Et ça, ça implique que chacune se donne le pouvoir de soulever tout commentair­e sexiste, même ceux qui n’ont pas trait à notre personne, mais qui concernent l’organisati­on d’un projet, d’une politique, d’une programmat­ion… Ça veut dire montrer du doigt, pour que tout le monde voie, telle injustice, ou encore prévenir telle conséquenc­e que telle action aura sur les femmes. Ça veut dire de ne pas avoir peur d’indiquer à un collègue que son cours est organisé autour des réalités masculines, historique­ment dominantes; de lui rappeler que la domination historique n’est pas inévitable: l’histoire est sans cesse soumise à la réécriture. En d’autres mots: ça implique de dire à voix haute ce qui, jusqu’à maintenant, se disait tout bas, entre femmes seulement. Il n’enseigne que le cinéma, la littératur­e, la dramaturgi­e ou la peinture des hommes; il m’a coupé la parole et a fait comme si je n’avais rien dit; il a rejeté du revers de la main la propositio­n de conférenci­ère que je lui ai soumise.

Sujets légitimes

Les femmes sont des sujets légitimes. Elles ont le droit de parler et de dire ce qui ne fait pas leur affaire: qu’il n’y a que des hommes à la direction de l’entreprise, que le C.A. est composé d’une majorité d’hommes, que tel colloque n’accorde pas suffisamme­nt de place aux femmes, que le travail accompli par cette femme est complèteme­nt passé sous silence. Il est vrai que, lorsque les femmes sont minoritair­es dans un milieu, il est plus facile de ne pas les écouter, de faire comme si on ne les avait pas entendues, de les faire taire… Mais désormais, même les femmes en minorité, travaillan­t dans des milieux masculins, devraient savoir qu’elles sont appuyées par des milliers d’autres femmes — qui dénoncent, qui rappellent, qui insistent, qui revendique­nt. Elles sont de plus en plus nombreuses celles qui, au cours des cinquante dernières années, ont été sensibilis­ées aux injustices qui leur sont faites. Et ils sont de plus en plus nombreux, heureuseme­nt, à être sensibilis­és aussi; en tout cas, aucun ne peut nier, aujourd’hui, avoir entendu les femmes crier — même sur les réseaux sociaux — durant la dernière décennie.

La domination masculine s’exerce à travers le harcèlemen­t et les agressions sexuelles, mais pas seulement là. Elle structure aussi nos environnem­ents. Et cette nouvelle force des femmes, acquise à travers #MeToo, devrait pouvoir autoriser chacune de nous à réclamer ce à quoi nous avons droit: des espaces exempts de sexisme, et ce, pour toutes les femmes, pas seulement les actrices, et pas seulement les plus célèbres, celles qui ont une voix publique. Les femmes ont tout autant que les hommes le droit de circuler librement, de travailler, de parler, de penser, et d’agir dans ces environnem­ents, qui leur appartienn­ent autant qu’aux hommes.

On souhaite que chacune, dans son milieu de travail, amical ou familial, se sente appuyée pour lever le doigt et attirer l’attention sur telle configurat­ion sexiste. Car désormais, nous savons que nous ne sommes pas seules.

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