Les suites de #MeToo
La vague de #MeToo, dit-on, a changé la donne. On l’espère fortement, malgré les ressacs inévitables que toute vague engendre. Cela dit, on espère aussi — et surtout — qu’elle permettra aux femmes de se sentir enfin légitimes de revendiquer ce à quoi elles ont droit. Non pas seulement, donc, de crier haut et fort et de dénoncer les cas de harcèlement et d’agression sexuelle, ce qu’il faut bien sûr continuer de faire, mais également de revendiquer un espace exempt de domination masculine, partout, en tout temps.
Et ça, ça implique que chacune se donne le pouvoir de soulever tout commentaire sexiste, même ceux qui n’ont pas trait à notre personne, mais qui concernent l’organisation d’un projet, d’une politique, d’une programmation… Ça veut dire montrer du doigt, pour que tout le monde voie, telle injustice, ou encore prévenir telle conséquence que telle action aura sur les femmes. Ça veut dire de ne pas avoir peur d’indiquer à un collègue que son cours est organisé autour des réalités masculines, historiquement dominantes; de lui rappeler que la domination historique n’est pas inévitable: l’histoire est sans cesse soumise à la réécriture. En d’autres mots: ça implique de dire à voix haute ce qui, jusqu’à maintenant, se disait tout bas, entre femmes seulement. Il n’enseigne que le cinéma, la littérature, la dramaturgie ou la peinture des hommes; il m’a coupé la parole et a fait comme si je n’avais rien dit; il a rejeté du revers de la main la proposition de conférencière que je lui ai soumise.
Sujets légitimes
Les femmes sont des sujets légitimes. Elles ont le droit de parler et de dire ce qui ne fait pas leur affaire: qu’il n’y a que des hommes à la direction de l’entreprise, que le C.A. est composé d’une majorité d’hommes, que tel colloque n’accorde pas suffisamment de place aux femmes, que le travail accompli par cette femme est complètement passé sous silence. Il est vrai que, lorsque les femmes sont minoritaires dans un milieu, il est plus facile de ne pas les écouter, de faire comme si on ne les avait pas entendues, de les faire taire… Mais désormais, même les femmes en minorité, travaillant dans des milieux masculins, devraient savoir qu’elles sont appuyées par des milliers d’autres femmes — qui dénoncent, qui rappellent, qui insistent, qui revendiquent. Elles sont de plus en plus nombreuses celles qui, au cours des cinquante dernières années, ont été sensibilisées aux injustices qui leur sont faites. Et ils sont de plus en plus nombreux, heureusement, à être sensibilisés aussi; en tout cas, aucun ne peut nier, aujourd’hui, avoir entendu les femmes crier — même sur les réseaux sociaux — durant la dernière décennie.
La domination masculine s’exerce à travers le harcèlement et les agressions sexuelles, mais pas seulement là. Elle structure aussi nos environnements. Et cette nouvelle force des femmes, acquise à travers #MeToo, devrait pouvoir autoriser chacune de nous à réclamer ce à quoi nous avons droit: des espaces exempts de sexisme, et ce, pour toutes les femmes, pas seulement les actrices, et pas seulement les plus célèbres, celles qui ont une voix publique. Les femmes ont tout autant que les hommes le droit de circuler librement, de travailler, de parler, de penser, et d’agir dans ces environnements, qui leur appartiennent autant qu’aux hommes.
On souhaite que chacune, dans son milieu de travail, amical ou familial, se sente appuyée pour lever le doigt et attirer l’attention sur telle configuration sexiste. Car désormais, nous savons que nous ne sommes pas seules.