Le Devoir

La «galanterie à la française» fait débat outre-mer

- PASCALE JUILLIARD JESSICA LOPEZ à Paris

L’actrice française Catherine Deneuve et les personnali­tés défendant dans une tribune la «liberté» des hommes d’«importuner» des femmes mettent en débat en France le thème d’une «galanterie à la française» qui trancherai­t avec le puritanism­e anglo-saxon.

Le débat est d’autant plus vif qu’il rompt l’unanimisme qui dominait depuis le début de l’affaire Weinstein.

«Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste», soutient la tribune publiée mardi dans le quotidien Le Monde. Signée par une centaine de personnali­tés, elle s’inquiète d’un retour du «puritanism­e».

« Je n’ai pas vu s’abattre sur la France le puritanism­e. On continue à draguer, à s’aimer, à jouer et sans problème», a rétorqué la romancière franco-marocaine Leïla Slimani.

«En France, on est très fier de notre culture libertine, mais parfois il faut tout le temps prouver qu’on n’est pas puritain, alors que le fait de dire non, ce n’est pas du puritanism­e», a-t-elle ajouté à l’AFP.

En octobre, les révélation­s sur le puissant producteur hollywoodi­en Harvey Weinstein avaient entraîné une vague de témoignage­s d’agressions sexistes et sexuelles, que ces personnali­tés qualifient de «campagne de délations ».

«La

culture de la galanterie à la française existe depuis toujours. Déjà, au Moyen Âge, on appelait ça l’amour courtois, tradition poétique de faire des vers pour les femmes, de les mettre sur un piédestal. Françoise Picq, historienn­e du féminisme

Des propos à rebours des réactions publiques suscitées jusque-là, d’autant plus remarqués qu’ils sont signés par une actrice de renommée internatio­nale et qu’ils ont été publiés deux jours après les Golden Globes, où le milieu du cinéma américain avait fait front contre les violences sexuelles.

«La culture de la galanterie à la française existe depuis toujours», répond l’historienn­e du féminisme Françoise Picq, interrogée par l’AFP. «Déjà, au Moyen Âge, on appelait ça l’amour courtois, tradition poétique de faire des vers pour les femmes, de les mettre sur un piédestal.» Pour elle, cette culture est «perverse», car elle nourrit «l’absence de révolte des femmes ».

Les trois G

En octobre, l’actrice Isabelle Adjani observait qu’«en France, il y a les trois G: galanterie, grivoiseri­e, goujaterie. Glisser de l’une à l’autre jusqu’à la violence en prétextant le jeu de la séduction est une des armes de défense des prédateurs et des harceleurs», dénonçait-elle.

«On est un petit peu “empoisonné­s”, entre guillemets, en France, par cette idée de la galanterie» qui «serait l’expression de la civilisati­on, de la culture française, des bons rapports qu’il y aurait dans notre pays par rapport aux autres, entre les hommes et les femmes », a estimé sur France Culture l’historienn­e Michelle Perrot.

«C’est un mythe intéressan­t, brillant, mais qui recouvre au fond une domination particuliè­re des hommes sur les femmes dans notre pays», a-t-elle ajouté.

Pour Réjane Sénac, directrice de recherches à Sciences Po, cette tribune illustre le «poids d’un héritage égalitaire ambivalent ».

«Notre modèle républicai­n est construit sur un mythe égalitaire paradoxale­ment fondé sur la complément­arité entre hommes et femmes, sur le modèle papa/maman», estime l’auteure de Les non-frères au pays de l’égalité. «C’est au nom de cela que les femmes ont longtemps été exclues du droit de vote, car elles n’étaient pas considérée­s comme des êtres autonomes. »

Au-delà des signataire­s, le texte a cependant trouvé des soutiens.

«Ce que j’ai aimé, c’est que ce soient des femmes qui prennent la parole pour dire ce que les hommes ne peuvent plus dire depuis des mois. À savoir que nous ne sommes pas tous des porcs», a déclaré mercredi sur la radio France Inter l’écrivain Frédéric Beigbeder.

Si on regarde les choses positiveme­nt, «il y a une spécificit­é française qui est celle du débat, de la polémique, d’une certaine liberté de ton et d’expression», a estimé l’ancienne ministre socialiste des Droits des femmes Laurence Rossignol.

Sociologue et directrice de recherche au centre de recherches politiques Cevipof, Janine Mossuz-Lavau a enquêté sur la vie amoureuse des Français. Aujourd’hui, comparativ­ement à il y a 17 ans, «on parle plus facilement des attoucheme­nts, des agressions subis. Il y a eu une prise de conscience ».

Selon l’Institut national d’études démographi­ques (INED), en France, près de trois millions de femmes de 20 à 69 ans subissent chaque année dans l’espace public une situation de drague importune et plus d’un million, des situations de harcèlemen­t et atteintes sexuels.

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