Les évêques en colère contre Ottawa
Les prélats canadiens accusent le gouvernement fédéral d’introduire un programme de soutien aux emplois discriminatoire, basé sur les croyances
Les nouvelles exigences du programme fédéral d’Emplois été Canada soulèvent une levée de boucliers au sein de diverses organisations religieuses embauchant des étudiants l’été venu. La Conférence des évêques du Canada (CCCB) a ajouté sa voix au tollé jeudi et considère que l’obligation d’appuyer les «droits reproductifs des femmes » privera de subventions une foule d’organismes sans but lucratif qui offrent des services dans les communautés.
Pour la conférence canadienne des évêques, comme pour plusieurs autres regroupements religieux montés aux barricades depuis décembre dernier, le nouveau processus de demande de subventions, qui impose de reconnaître les «droits reproductifs et sexuels» des femmes, ainsi que « l’accès à des avortements sûrs et légaux», constitue un affront à leur liberté de conscience et de religion.
Rappelons que le ministère fédéral de l’Emploi et du Développement a introduit le 19 décembre cette nouvelle mesure pour s’assurer que la mission ou la vocation des organismes souhaitant bénéficier du programme EEC sont compatibles avec les valeurs prônées par le gouvernement Trudeau, notamment le droit à l’avortement.
Liberté de religion
Ottawa avait promis l’an dernier de revoir ses critères de financement après que des médias avaient révélé que des organismes ouvertement provie avaient bénéficié ces dernières années de fonds publics grâce à ce programme.
Mais selon plusieurs organismes, ces nouvelles règles «morales» empêcheront une pléthore d’organismes à but non lucratif d’avoir accès aux subventions fédérales, même si leur mission première n’est en rien liée au mouvement pro-vie.
«Cette nouvelle politique entre directement en conflit avec le droit à la liberté de religion et de conscience, qui est, lui aussi, consacré par la Charte», plaident les évêques du Canada, d’avis que de nombreuses organisations ne peuvent appuyer les principes exigés en vertu du nouveau programme.
«Le gouvernement du Canada limite directement le droit des traditions religieuses de publiquement garder, enseigner et pratiquer leurs principes et leurs valeurs », soutient la CCCB dans un communiqué.
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Le gouvernement du Canada limite directement le droit des traditions religieuses de publiquement garder, enseigner et pratiquer leurs principes et leurs valeurs La Conférence des évêques du Canada
Lors d’une activité publique à Hamilton, le premier ministre Justin Trudeau s’est défendu le 9 janvier en précisant que la nouvelle mouture du programme n’était en rien incompatible avec la mission de plusieurs organisations religieuses, mais « seulement avec celles dont la mission explicite est de restreindre les droits des femmes en leur retirant le droit à l’avortement ou le droit de contrôler leur propre corps».
Contestation judiciaire
Un organisme pro-vie de Toronto a d’ores et déjà déposé le 5 janvier dernier une requête en cour pour faire déclarer contraire à la Charte des droits le nouveau processus d’attribution des subventions introduit par Ottawa.
Selon Right to Life Association of Toronto and Area, ce processus a pour effet de discriminer les organismes en fonction de leurs croyances en les forçant à cocher une attestation contraire à leurs principes.
À défaut de cocher cette attestation, la demande ne sera même pas prise en considération, allèguent-ils.
Selon les informations obtenues de la CCCB jeudi, la voie de la contestation judiciaire ne serait pas encore «dans les cartons» de la conférence épiscopale, dont la prochaine rencontre est prévue pour la fin de janvier.
Des impacts multiples
La Conférence des évêques soutient que les nouveaux critères d’Ottawa court-circuiteront non seulement les activités de divers organismes catholiques, mais aussi celles de différentes dénominations religieuses, qui en subiront les conséquences «concrètes et malheureuses».
Les évêques évoquent des camps d’été «qui seront forcés de fermer: des services de nombreux organismes sans but lucratif seront réduits: de précieuses occasions d’apprentissage seront perdues».
L’organisme n’était pas en mesure jeudi de dresser une liste des organismes potentiellement affectés, mais disait avoir reçu notamment l’appel d’un musée qui craint de ne plus pouvoir embaucher d’étudiants l’été prochain.
Le programme EEC permet aux organismes à but lucratif, aux petites entreprises et aux employeurs du secteur public d’avoir accès à des subventions pour embaucher à temps plein pendant l’été des jeunes de 15 à 30 ans.
Depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux, les fonds réservés à ce programme ont été augmentés de 117 millions et ont permis de doubler les emplois, portant à 70 000 le nombre d’emplois étudiants subventionnés l’été dernier.