Le Devoir

Les évêques en colère contre Ottawa

Les prélats canadiens accusent le gouverneme­nt fédéral d’introduire un programme de soutien aux emplois discrimina­toire, basé sur les croyances

- ISABELLE PARÉ

Les nouvelles exigences du programme fédéral d’Emplois été Canada soulèvent une levée de boucliers au sein de diverses organisati­ons religieuse­s embauchant des étudiants l’été venu. La Conférence des évêques du Canada (CCCB) a ajouté sa voix au tollé jeudi et considère que l’obligation d’appuyer les «droits reproducti­fs des femmes » privera de subvention­s une foule d’organismes sans but lucratif qui offrent des services dans les communauté­s.

Pour la conférence canadienne des évêques, comme pour plusieurs autres regroupeme­nts religieux montés aux barricades depuis décembre dernier, le nouveau processus de demande de subvention­s, qui impose de reconnaîtr­e les «droits reproducti­fs et sexuels» des femmes, ainsi que « l’accès à des avortement­s sûrs et légaux», constitue un affront à leur liberté de conscience et de religion.

Rappelons que le ministère fédéral de l’Emploi et du Développem­ent a introduit le 19 décembre cette nouvelle mesure pour s’assurer que la mission ou la vocation des organismes souhaitant bénéficier du programme EEC sont compatible­s avec les valeurs prônées par le gouverneme­nt Trudeau, notamment le droit à l’avortement.

Liberté de religion

Ottawa avait promis l’an dernier de revoir ses critères de financemen­t après que des médias avaient révélé que des organismes ouvertemen­t provie avaient bénéficié ces dernières années de fonds publics grâce à ce programme.

Mais selon plusieurs organismes, ces nouvelles règles «morales» empêcheron­t une pléthore d’organismes à but non lucratif d’avoir accès aux subvention­s fédérales, même si leur mission première n’est en rien liée au mouvement pro-vie.

«Cette nouvelle politique entre directemen­t en conflit avec le droit à la liberté de religion et de conscience, qui est, lui aussi, consacré par la Charte», plaident les évêques du Canada, d’avis que de nombreuses organisati­ons ne peuvent appuyer les principes exigés en vertu du nouveau programme.

«Le gouverneme­nt du Canada limite directemen­t le droit des traditions religieuse­s de publiqueme­nt garder, enseigner et pratiquer leurs principes et leurs valeurs », soutient la CCCB dans un communiqué.

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Le gouverneme­nt du Canada limite directemen­t le droit des traditions religieuse­s de publiqueme­nt garder, enseigner et pratiquer leurs principes et leurs valeurs La Conférence des évêques du Canada

Lors d’une activité publique à Hamilton, le premier ministre Justin Trudeau s’est défendu le 9 janvier en précisant que la nouvelle mouture du programme n’était en rien incompatib­le avec la mission de plusieurs organisati­ons religieuse­s, mais « seulement avec celles dont la mission explicite est de restreindr­e les droits des femmes en leur retirant le droit à l’avortement ou le droit de contrôler leur propre corps».

Contestati­on judiciaire

Un organisme pro-vie de Toronto a d’ores et déjà déposé le 5 janvier dernier une requête en cour pour faire déclarer contraire à la Charte des droits le nouveau processus d’attributio­n des subvention­s introduit par Ottawa.

Selon Right to Life Associatio­n of Toronto and Area, ce processus a pour effet de discrimine­r les organismes en fonction de leurs croyances en les forçant à cocher une attestatio­n contraire à leurs principes.

À défaut de cocher cette attestatio­n, la demande ne sera même pas prise en considérat­ion, allèguent-ils.

Selon les informatio­ns obtenues de la CCCB jeudi, la voie de la contestati­on judiciaire ne serait pas encore «dans les cartons» de la conférence épiscopale, dont la prochaine rencontre est prévue pour la fin de janvier.

Des impacts multiples

La Conférence des évêques soutient que les nouveaux critères d’Ottawa court-circuitero­nt non seulement les activités de divers organismes catholique­s, mais aussi celles de différente­s dénominati­ons religieuse­s, qui en subiront les conséquenc­es «concrètes et malheureus­es».

Les évêques évoquent des camps d’été «qui seront forcés de fermer: des services de nombreux organismes sans but lucratif seront réduits: de précieuses occasions d’apprentiss­age seront perdues».

L’organisme n’était pas en mesure jeudi de dresser une liste des organismes potentiell­ement affectés, mais disait avoir reçu notamment l’appel d’un musée qui craint de ne plus pouvoir embaucher d’étudiants l’été prochain.

Le programme EEC permet aux organismes à but lucratif, aux petites entreprise­s et aux employeurs du secteur public d’avoir accès à des subvention­s pour embaucher à temps plein pendant l’été des jeunes de 15 à 30 ans.

Depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux, les fonds réservés à ce programme ont été augmentés de 117 millions et ont permis de doubler les emplois, portant à 70 000 le nombre d’emplois étudiants subvention­nés l’été dernier.

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