Les « refuges marins » ne comptent pas pour Québec
Les zones de protection du fédéral ne respectent pas les critères reconnus mondialement
Même si le gouvernement fédéral affirme que la récente création de «refuges marins» dans la portion québécoise du golfe du Saint-Laurent lui permet de respecter ses engagements en matière de protection des écosystèmes marins, Québec ne tiendra pas compte de ces mesures pour atteindre ses propres objectifs, a appris Le Devoir.
Aux prises avec des retards majeurs en matière de protection des milieux marins, le gouvernement Trudeau a annoncé l’automne dernier la création de dix «refuges marins » dans la portion québécoise du golfe du Saint-Laurent.
C’est d’ailleurs grâce à cette annonce que le fédéral a dit avoir atteint son objectif de protéger 5% des milieux marins canadiens avant la fin de 2017. Ces refuges marins se limitent toutefois à des règles de gestion des pêches qui laissent la porte ouverte à l’essentiel des activités industrielles.
Le Québec accuse lui aussi des retards considérables en matière de protection des milieux marins. Le taux actuel avoisine les 1,3%, alors que l’objectif pour 2020 est de 10%. Le gouvernement Couillard a néanmoins décidé de ne pas tenir compte des mesures créées par Pêches et Océans Canada pour atteindre cette cible.
«Les refuges marins du gouvernement fédéral ne sont pas comptabilisés dans le 10 % du Québec », a indiqué au Devoir le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC).
Pourquoi ne pas avoir inclus les «refuges marins», puisque le gouvernement Trudeau assure qu’il s’agit de «mesures de conservation efficaces»?
« Le Québec a choisi de se doter d’un réseau d’aires marines protégées selon les critères reconnus par l’Union internationale de conservation de la nature (UICN). Or, le gouvernement fédéral utilise certaines autres mesures de conservation incluant possiblement les refuges marins, dont les critères ne sont pas définis par l’UICN», a expliqué le MDDELCC, dans une réponse écrite.
Ces «aires marines protégées» constituent en effet des mesures de protection clairement définies selon des règles
«
Pêches et Océans a développé ses propres critères, qui sont beaucoup p lus flexibles et beaucoup moins rigoureux que ceux en développement à l’UICN Alain Branchaud, directeur général de SNAP Québec
strictes de l’UICN reconnues par les pays signataires de la Convention sur la diversité biologique (CDB), dont le Canada. Ce n’est pas le cas des «refuges marins».
Les critères de ceux-ci ont été rédigés par le gouvernement fédéral et devront faire l’objet d’une évaluation des membres de la CDB en 2018.
Insuf fisant
Pêches et Océans Canada affirme cependant s’être appuyé sur des données et des avis «scientifiques» pour préciser les directives de ce nouveau type de mesure de protection.
«Ces critères sont rigoureux et basés sur la science, et nous avons bon espoir que les zones qui s’y conforment offrent une véritable protection pour nos ressources marines», a déjà fait valoir le cabinet du ministre Dominic LeBlanc.
Les «refuges marins» se résument toutefois à des «mesures de gestion des pêches» interdisant l’utilisation d’engins qui touchent le fond, de façon à protéger des éponges de mer et des coraux.
«Aucune des autres activités humaines menées dans cette zone n’est incompatible avec les composantes écologiques d’intérêt », précise le fédéral. Cela signifie que la pêche commerciale est toujours possible et qu’il n’existe aucune restriction sur la navigation commerciale. Cela laisse aussi la porte ouverte à d’éventuels projets d’exploration pétrolière et gazière.
Pour le directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), Alain Branchaud, l’approche du gouvernement du Québec, basée sur des aires marines protégées, est beaucoup plus efficace pour protéger adéquatement les «écosystèmes» du Saint-Laurent. «Une telle zone protège tous les éléments de la biodiversité, et non pas seulement une espèce ou un petit groupe d’espèces. »
«Pêches et Océans a développé ses propres critères, qui sont beaucoup plus flexibles et beaucoup moins rigoureux que ceux en développement à l’UICN. Ils ont donc inventé le concept des “refuges marins”, qui n’a pas de base légale. C’est un peu comme si le gouvernement interdisait la chasse au chevreuil dans un secteur. Ça ne signifierait pas que ce secteur serait transformé en aire protégée », fait-il valoir.
Le gouvernement du Québec et celui du Canada font par ailleurs partie d’un «groupe bilatéral» dont l’objectif est de mettre en place des aires marines protégées au Québec.
Trois projets majeurs sont à l’étude, dont un depuis près de vingt ans dans l’estuaire du Saint-Laurent.
Le gouvernement du Québec dit avoir bon espoir de protéger 10% de ses milieux marins d’ici 2020. Le gouvernement fédéral souhaite par ailleurs «finaliser» l’implantation de l’aire marine du banc des Américains en 2018. Cette zone de 1000km2 est située tout juste à l’est de la péninsule gaspésienne.