Le Devoir

Les « refuges marins » ne comptent pas pour Québec

Les zones de protection du fédéral ne respectent pas les critères reconnus mondialeme­nt

- ALEXANDRE SHIELDS

Même si le gouverneme­nt fédéral affirme que la récente création de «refuges marins» dans la portion québécoise du golfe du Saint-Laurent lui permet de respecter ses engagement­s en matière de protection des écosystème­s marins, Québec ne tiendra pas compte de ces mesures pour atteindre ses propres objectifs, a appris Le Devoir.

Aux prises avec des retards majeurs en matière de protection des milieux marins, le gouverneme­nt Trudeau a annoncé l’automne dernier la création de dix «refuges marins » dans la portion québécoise du golfe du Saint-Laurent.

C’est d’ailleurs grâce à cette annonce que le fédéral a dit avoir atteint son objectif de protéger 5% des milieux marins canadiens avant la fin de 2017. Ces refuges marins se limitent toutefois à des règles de gestion des pêches qui laissent la porte ouverte à l’essentiel des activités industriel­les.

Le Québec accuse lui aussi des retards considérab­les en matière de protection des milieux marins. Le taux actuel avoisine les 1,3%, alors que l’objectif pour 2020 est de 10%. Le gouverneme­nt Couillard a néanmoins décidé de ne pas tenir compte des mesures créées par Pêches et Océans Canada pour atteindre cette cible.

«Les refuges marins du gouverneme­nt fédéral ne sont pas comptabili­sés dans le 10 % du Québec », a indiqué au Devoir le ministre du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC).

Pourquoi ne pas avoir inclus les «refuges marins», puisque le gouverneme­nt Trudeau assure qu’il s’agit de «mesures de conservati­on efficaces»?

« Le Québec a choisi de se doter d’un réseau d’aires marines protégées selon les critères reconnus par l’Union internatio­nale de conservati­on de la nature (UICN). Or, le gouverneme­nt fédéral utilise certaines autres mesures de conservati­on incluant possibleme­nt les refuges marins, dont les critères ne sont pas définis par l’UICN», a expliqué le MDDELCC, dans une réponse écrite.

Ces «aires marines protégées» constituen­t en effet des mesures de protection clairement définies selon des règles

«

Pêches et Océans a développé ses propres critères, qui sont beaucoup p lus flexibles et beaucoup moins rigoureux que ceux en développem­ent à l’UICN Alain Branchaud, directeur général de SNAP Québec

strictes de l’UICN reconnues par les pays signataire­s de la Convention sur la diversité biologique (CDB), dont le Canada. Ce n’est pas le cas des «refuges marins».

Les critères de ceux-ci ont été rédigés par le gouverneme­nt fédéral et devront faire l’objet d’une évaluation des membres de la CDB en 2018.

Insuf fisant

Pêches et Océans Canada affirme cependant s’être appuyé sur des données et des avis «scientifiq­ues» pour préciser les directives de ce nouveau type de mesure de protection.

«Ces critères sont rigoureux et basés sur la science, et nous avons bon espoir que les zones qui s’y conforment offrent une véritable protection pour nos ressources marines», a déjà fait valoir le cabinet du ministre Dominic LeBlanc.

Les «refuges marins» se résument toutefois à des «mesures de gestion des pêches» interdisan­t l’utilisatio­n d’engins qui touchent le fond, de façon à protéger des éponges de mer et des coraux.

«Aucune des autres activités humaines menées dans cette zone n’est incompatib­le avec les composante­s écologique­s d’intérêt », précise le fédéral. Cela signifie que la pêche commercial­e est toujours possible et qu’il n’existe aucune restrictio­n sur la navigation commercial­e. Cela laisse aussi la porte ouverte à d’éventuels projets d’exploratio­n pétrolière et gazière.

Pour le directeur général de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec), Alain Branchaud, l’approche du gouverneme­nt du Québec, basée sur des aires marines protégées, est beaucoup plus efficace pour protéger adéquateme­nt les «écosystème­s» du Saint-Laurent. «Une telle zone protège tous les éléments de la biodiversi­té, et non pas seulement une espèce ou un petit groupe d’espèces. »

«Pêches et Océans a développé ses propres critères, qui sont beaucoup plus flexibles et beaucoup moins rigoureux que ceux en développem­ent à l’UICN. Ils ont donc inventé le concept des “refuges marins”, qui n’a pas de base légale. C’est un peu comme si le gouverneme­nt interdisai­t la chasse au chevreuil dans un secteur. Ça ne signifiera­it pas que ce secteur serait transformé en aire protégée », fait-il valoir.

Le gouverneme­nt du Québec et celui du Canada font par ailleurs partie d’un «groupe bilatéral» dont l’objectif est de mettre en place des aires marines protégées au Québec.

Trois projets majeurs sont à l’étude, dont un depuis près de vingt ans dans l’estuaire du Saint-Laurent.

Le gouverneme­nt du Québec dit avoir bon espoir de protéger 10% de ses milieux marins d’ici 2020. Le gouverneme­nt fédéral souhaite par ailleurs «finaliser» l’implantati­on de l’aire marine du banc des Américains en 2018. Cette zone de 1000km2 est située tout juste à l’est de la péninsule gaspésienn­e.

 ?? SYLVAIN ROBERT ?? Le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, le seul du genre au Québec, a été créé pour protéger la biodiversi­té de l’estuaire, dont les cétacés qui le fréquenten­t assidûment. Ici, la baleine à bosse Tic Tac Toe, une vedette du parc marin.
SYLVAIN ROBERT Le parc marin du Saguenay–Saint-Laurent, le seul du genre au Québec, a été créé pour protéger la biodiversi­té de l’estuaire, dont les cétacés qui le fréquenten­t assidûment. Ici, la baleine à bosse Tic Tac Toe, une vedette du parc marin.

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