Le Devoir

« J’ai confiance dans le prince »

Ensaf Haidar garde espoir de voir son mari, Raïf Badawi, libéré bientôt

- ADAM PLOWRIGHT à Paris

Ensaf Haidar, l’épouse du blogueur Raïf Badawi emprisonné depuis cinq ans, dit faire «confiance» au prince héritier Mohammed ben Salmane, le nouvel homme fort de Riyad, pour libérer bientôt son mari en gage de sa volonté affichée de réformes

«J’ai confiance dans le prince Mohammed ben Salmane parce que le prince met en applicatio­n les idées de Raïf », explique Mme Haidar.

Il «veut moderniser l’Arabie saoudite, moderniser la charia. Cela veut dire qu’il veut aussi libérer les prisonnier­s d’opinion», ajoute cette originaire de la région de Jizan, dans le sud-ouest de l’Arabie saoudite.

Son mari, arrêté en 2012, a été condamné en 2014 à dix ans de prison et mille coups de fouet pour «insulte à l’islam». Le site du blogueur de 34 ans promouvait la liberté d’expression et les droits des femmes.

Mais ces derniers mois, une série de réformes sociétales et économique­s ont été annoncées dans ce pays ultraconse­rvateur, sous l’impulsion de Mohammed ben Salmane, de l’autorisati­on de conduire ou d’assister à des événements sportifs pour les femmes à celle des cinémas…

En octobre, «MBS» promettait aussi une Arabie saoudite « modérée » et « tolérante ».

Des militants des droits de la personne sont plus sceptiques, soulignant que les interpella­tions de dissidents continuent dans le pays, où certains voient en MBS un caractère autoritair­e et impulsif.

Pardon royal

L’espoir de l’épouse du blogueur vient également d’une délégation de parlementa­ires européens. À son retour de Riyad, en novembre, l’un d’eux, Josef Weidenholz­er, lui a indiqué que des défenseurs locaux des droits de la personne estimaient que Raïf pourrait figurer sur une liste de pardons royaux. «C’est ce qu’il m’a dit. Je ne sais pas si c’est vrai », dit Ensaf Haidar.

M. Weidenholz­er n’a pu être joint par l’AFP. De son côté, l’ancienne ministre française Michèle Alliot-Marie, qui menait la délégation, a refusé de s’exprimer sur le sujet, pointant son caractère délicat.

En 2015 déjà, un responsabl­e suisse avait évoqué un pardon possible de Raïf Badawi.

«Nous espérons qu’il est sur la liste des pardons» cette fois, a dit à l’AFP un représenta­nt de la société nationale saoudienne pour les droits de la personne, tout en pointant un obstacle potentiel à sa libération: son père, favorable à la punition de son fils et dont l’approbatio­n serait nécessaire.

«Ce problème doit être réglé avant que le pardon royal ne soit accordé», a dit ce responsabl­e qui a requis l’anonymat.

Ensaf Haidar, qui vit Sherbrooke après avoir obtenu le droit d’asile au Canada, parle régulièrem­ent à son mari: elle appelle à la prison deux ou trois fois par semaine.

Leurs conversati­ons sont brèves, de l’ordre de quinze minutes, et Raïf ne lui raconte guère ses conditions de détention. Son moral? «Ça dépend», dit-elle. «Garder espoir pour Raïf, c’est plus difficile. Moi, j’ai gardé espoir parce que je vois le monde, les réseaux sociaux… les gouverneme­nts qui parlent de Raïf. »

La jeune femme continue de mener campagne pour lui, avec ses enfants de 14, 13 et 10 ans, qui en juin avaient lancé du Canada un appel à le libérer. En 2015, c’est au nom de Raïf qu’elle avait récupéré le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit du Parlement européen à Strasbourg, dans l’est de la France.

Elle a également contacté les services du président français, Emmanuel Macron, qui doit accueillir le prince en février à Paris. Quel message souhaitera­it-elle que le président Macron délivre au prince Mohammed? Apparue jusque-là sereine et déterminée, la jeune femme est visiblemen­t émue par la question. Puis, elle se reprend : «J’aimerais demander au prince qu’il accorde son pardon à mon mari, parce que mes enfants ont besoin de leur père.» Un père qu’ils n’ont plus vu qu’en photo depuis cinq ans.

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PAUL CHIASSON LA PRESSE CANADIENNE Ensaf Haidar, qui vit à Sherbrooke après avoir obtenu le droit d’asile au Canada, parle régulièrem­ent à son mari: elle appelle à la prison deux ou trois fois par semaine.

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