Pour un salaire minimum décent
Le débat sur le salaire minimum reprend au rythme des hausses annoncées par le gouvernement mais évolue peu: les uns revendiquent un salaire suffisant pour s’affranchir de la pauvreté ; les autres agissent pour retarder ou atténuer des hausses inévitables en évoquant des pertes de compétitivité et d’emploi; des élus se positionnent pour le compromis du jour politiquement rentable. L’actualité plus récente se distingue en raison d’un mouvement pour porter le salaire minimum à 15 $.
Un salaire minimum de 11,25$ ne peut qu’augmenter, comme il l’a fait annuellement depuis 1986, à deux périodes d’exception près. La véritable question est de savoir si les hausses à venir se contenteront d’arbitrer un différend récurrent entre des lobbys et forces du marché qui s’opposent ou viseront plus haut, pour atteindre l’objectif non partisan à l’origine même du salaire minimum, soit l’imposition d’un seuil de rémunération juste et équitable.
Pour la petite histoire, la loi imposant dès 1937 un salaire minimum s’intitulait la Loi des salaires raisonnables, et le préambule à la loi qui l’a remplacée de 1940 à 1980 précisait « que l’acceptation forcée d’une rémunération insuffisante, c’est ne pas tenir compte de la dignité du travail et des besoins du salarié et sa famille ».
Dans une économie que l’on veut moderne et intelligente, où la technologie déloge l’humain, pourquoi ne pas assurer à ceux qui peinent pour s’accrocher, et qui n’ont souvent que leurs mains pour y arriver, un salaire minimalement décent plutôt que (tristement) minimum. Ou, mieux encore, un salaire moderne et intelligent.
Or, au-delà de compromis politiques et du maintien (entre 45% et 47%) du ratio entre le salaire minimum et le salaire horaire moyen des travailleurs québécois, la véritable question demeure entière: le salaire moyen est-il, en soi, juste et raisonnable ? Peut-on justifier un salaire minimum laissant des centaines de milliers de travailleurs sous le seuil de la pauvreté, et donc incapables d’acquérir des biens de première nécessité ?
Un «non» vient naturellement, sans doute parce qu’un salaire minimum relevé augmenterait le pouvoir d’achat des plus démunis, les inciterait au travail et leur permettrait de participer à l’enrichissement collectif. D’autres diront qu’un salaire «de pauvres» ne peut motiver. Il n’incite pas à l’innovation ni à l’efficacité et ne fidélise personne. C’est le salaire du roulement coûteux d’employés et de l’indifférence en milieu de travail.
Initiative audacieuse
Selon les indicateurs économiques au Québec, le contexte actuel est favorable à une initiative audacieuse et à une hausse importante du salaire minimum, une initiative témoignant d’une confiance en la capacité de nos entreprises de faire différemment et d’innover.
Or des opposants font croire que les choses sont très complexes. S’appuyant sur des travaux d’économistes, ils brandissent annuellement le risque de pertes de compétitivité de nos entreprises, de chômage accru, d’inflation et de décrochage scolaire.
L’argument relatif à l’emploi étonne: il serait dans l’intérêt collectif des plus pauvres d’être individuellement rémunérés à un taux horaire moindre pour préserver leur emploi. La menace se fonde sur une théorie économique selon laquelle toute hausse du salaire minimum entraîne des pertes d’emplois.
Or, nombre d’études tenant compte de la réalité ou des imperfections du marché ont conclu qu’une hausse du salaire minimum pouvait n’avoir aucun effet défavorable sur l’emploi. En Allemagne, l’adoption en 2013 d’un salaire minimum n’a eu aucun effet négatif sur l’emploi. Des études des marchés de New York et de Seattle ont noté que des hausses importantes étalées dans le temps n’auraient pas d’effets majeurs sur l’emploi dans les secteurs étudiés. Cette menace présume aussi d’une hausse immédiate à 15 $ et de l’existence de solutions de remplacement pour faire le travail. Or une hausse pourrait être étalée et la robotisation des services en restauration et en hébergement n’est pas à l’horizon. Le Québec connaît plutôt une pénurie de main-d’oeuvre dans ces services.
L’argument relatif à la compétitivité de nos entreprises face à la concurrence des autres provinces canadiennes omet d’importantes réalités, soit la hausse du salaire minimum en Ontario et ailleurs au Canada et le fait que les services concernés sont locaux et absents des marchés en concurrence au chapitre des exportations et des importations.
Enfin, imputer aux plus vulnérables un risque d’inflation parce qu’ils consommeraient davantage s’ils étaient mieux payés est franchement mesquin dans un marché en croissance où des pressions inflationnistes s’exercent déjà en raison, notamment, de la confiance et de la consommation des ménages, des politiques monétaires et d‘importants stimuli gouvernementaux.
Enfin, vouloir garder nos jeunes aux études en dévalorisant un milieu de travail n’est pas une stratégie justifiable, ni une réponse utile au problème éminemment plus complexe qu’est le décrochage scolaire.