Les nouvelles au plus près de chez vous
Depuis maintenant dix ans, MonQuartier.quebec et ses déclinaisons ont su établir un modèle profitable tout en informant les citoyens de Québec sur leur quartier
Ils ont fait les manchettes, tous ces médias «près de chez vous», qui recueillent les nouvelles au détour d’une ruelle et documentent les petits et grands mouvements au sein d’un quartier.
Sauf qu’ils ont été nombreux — OpenFile à Montréal, DNAinfo à New York ou LibéVilles en France, pour ne nommer que ceux-là — à cesser leurs activités, le plus souvent par manque de rentabilité.
À Québec, un de ces médias hyperlocaux roule sa bosse depuis maintenant dix ans. Et il est profitable. Et il paye ses collaborateurs.
Son fondateur, Arnaud Bertrand, les appelle les «mon». Il y a monquartier.quebec, mais aussi monlimoilou.com, monsaintsauveur.com, monmontcalm.com et monsaintroch.com, quatre sites Web portant les noms d’autant de quartiers centraux de la basse-ville de Québec, à l’exception de Montcalm, qui borde les plaines d’Abraham.
Ça a commencé en 2008, quand le Français né dans les Vosges est débarqué dans Limoilou et y a découvert un quartier dont la réalité trouvait peu d’écho dans les grands médias. «La basse-ville de Québec, pendant longtemps, c’était les faits divers, la violence, la pauvreté. Et en hauteville, tout était beau!» rit Arnaud Bertrand. «Je trouvais que le traitement médiatique de Limoilou, de Saint-Roch et de Saint-Sauveur était poche. […] Je me promenais dans Limoilou et je ne voyais pas ça. »
Alors voilà: l’idée d’une plateforme réunissant les entreprises et les organismes de Limoilou s’est concrétisée dans la réalisation d’un site Web hybride, où se côtoient désormais les articles journalistiques, les offres promotionnelles et un nouveau service de livraison de produits locaux à domicile.
De 4000 lecteurs mensuels en 2009, monlimoilou.com est passé à 30 000 lecteurs en 2017. Au total, les cinq portails de monquartier.quebec accueillent 70 000 visiteurs uniques par mois, surtout des résidants des quartiers centraux, atteste Arnaud Bertrand, qui parvient à vivre de son travail sur les «mon».
Un «biais» local
Jeudi après-midi, presque tous les « grands médias » avaient placé en manchette de leur site Web une dépêche d’Associated Press sur de nouvelles allégations d’agression sexuelle visant le chef d’orchestre Charles Dutoit. Sur les sites de MonQuartier, on avait accordé le plus d’importance à un nouveau restaurant cubain du quartier Lairet, à l’expansion du magasin de plein air Latulippe et à l’histoire de la rue Cartier.
« L’information hyperlocale se fait avec la communauté hyperlocale», résume Arnaud Bertrand. Faire du journalisme de proximité sans arpenter les rues d’un quartier, c’est impossible, confirme la rédactrice en chef des sites consacrés aux quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur, Suzie Genest. «C’est le biais qu’on a: on fait toujours un peu partie des sujets qu’on traite. C’est notre milieu de vie. C’est correct, et c’est ce qui fait la différence», dit celle qui n’ose pas s’attribuer le titre de journaliste.
Quand même, les contributeurs de monquartier.quebec s’autoréglementent sur le plan éthique. Ils misent sur un système de transparence et d’honnêteté qui fait en sorte qu’ils s’empêchent parfois de couvrir des sujets sur lesquels ils sont trop collés ou d’écrire sur des projets dans lesquels ils sont trop impliqués. «Ça fait le gros du travail », estime Suzie Genest.
À ceux qui cherchent de la publicité, Arnaud Bertrand a tout de même le luxe d’offrir les sections promotionnelles de sa plateforme, où ils profitent d’un marketing ciblé, destiné aux personnes qui sont les plus susceptibles d’y répondre.
Même la classe politique a vu la manne. «Les politiciens se sont mis à surveiller ça, à nous lire, parce qu’ils avaient un [contact] direct avec les citoyens qui parlent et disent ce qu’ils veulent pour leur quartier», observe Arnaud Bertrand. «On le voit en campagne électorale, les politiciens viennent nous voir rapidement, parce qu’ils ont une espèce d’ancrage direct avec les citoyens du quartier.»
Plus direct que le bon vieux porte-à-porte, le média hyperlocal ? Peut-être, puisqu’il se rend là où «les médias de masse» ne sont pas toujours en mesure de se rendre, faute de ressources ou de temps, remarque Suzie Genest, qui estime néanmoins que les médias nationaux, locaux et hyperlocaux doivent continuer de cohabiter. «Chacun est nécessaire, c’est complémentaire; on peut s’apporter quelque chose les uns les autres», conclut la rédactrice en chef.