Rentrée culturelle Belle envolée
De nouvelles voix de cinéastes se feront entendre d’ici le printemps
Ils s’appellent Guillaume Lambert, Jeanne Leblanc, Pascal Plante et Sophie Dupuis. Au cours des prochains mois, voire semaines, on découvrira leurs premiers longs métrages. Issus du court, ils ont trimé dur, et souvent sans le sou, pour donner corps à leurs visions respectives. À la veille de révéler ce qui les anime, on a voulu les entendre sur les défis inhérents à cette expérience initiatique.
C’est tout prochainement que l’on pourra voir le film de Guillaume Lambert, Les scènes fortuites, à l’affiche le 26 janvier. Sur le principe de la mise en abyme satirique, cette comédie qu’il a écrite, réalisée et interprétée, conte les déboires d’un réalisateur néophyte incapable de terminer un tournage avec l’acteur français Denis Lavant. Avec aussi Monia Chokri et… François Pérusse. Pour mémoire, on a vu Guillaume Lambert dans l’hilarante websérie L’âge
adulte, qu’il a scénarisée. «Je savais que je voulais faire un film fragile, intime, sans artifices, où les acteurs seraient très naturels. Je savais aussi que je voulais une comédie à la limite du drame (ou l’inverse). C’est à peu près tout ce que je savais, sinon que les thèmes du film seraient l’errance et la vacuité […] Le film s’est créé “scène par scène”, d’où le titre, et s’est tourné sur 20 jours avec environ 180 000$, crédits d’impôt compris. »
Un montant qui ne laissa guère de marge de manoeuvre. On dut, par exemple, renoncer à une chanson dont les droits étaient trop dispendieux. «Pierre-Philippe “Pilou” Côté est venu à notre rescousse et a composé une chanson originale, relate Guillaume Lambert. Au final, cette chanson est bien meilleure et de loin
plus efficace. Cette situation est à l’image de l’ensemble de la production: chaque obstacle est devenu un défi, une contrainte créative, et le résultat a toujours dépassé ce que j’avais imaginé. »
S’en tenir à l’essentiel
Des propos qui font en l’occurrence écho à ceux de ses collègues. Tous les quatre, en effet, ont fonctionné avec peu ou relativement peu de moyens. Jeanne Leblanc, dont le film
Isla Blanca, ou le retour au bercail d’une fugueuse au long cours, paraît le 2 mars, résume parfaitement l’état d’esprit général.
«Ça m’a forcée à redéfinir la façon dont j’avais envie de travailler, et comment je pouvais pousser l’expérience le plus loin possible. Nous avons donc réduit nos besoins à l’essentiel: une maison, des acteurs complètement investis, un directeur photo et un preneur de son capables de faire totalement corps avec les scènes et, surtout, du temps et de la liberté. Notre plus grand obstacle a été, en réalité, notre plus grand atout. » Même son de cloche chez Pascal
Plante, pour qui « les plus belles idées créatives naissent des contraintes». Son film Les faux tatouages sort, lui, le 16 février, juste après son passage à la Berlinale, où il a été sélectionné. Sur fond de concert punk, on y suit l’idylle spontanée, mais avec date de péremption, qui naît entre deux marginaux, lui prisonnier de ses remords (Anthony Therrien), elle esprit libre (Rose-Marie Perreault).
Continuité et renouveau
Parlant de liberté, lorsque l’on s’attelle à un premier film, cherche-t-on, sciemment, à s’affranchir des enjeux, motifs et autres écoles qui caractérisent le cinéma québécois? Ou, au contraire, essaie-t-on de s’inscrire dans la continuité d’oeuvres et de mouvements que l’on admire ?
Fait intéressant, pour Pascal Plante, il y a un peu des deux. « Le cinéma québécois a, entre Pierre Perrault et Michel Brault, un héritage fort de documentaire en cinéma direct, et, entre Mon oncle Antoine et C.R.A.Z.Y., un héritage fort de films sur la jeunesse coming of age. J’aime penser que Les faux tatouages se situe quelque part entre ces deux lignées. Cependant, un film sur la jeunesse est voué à se renouveler avec la jeunesse. Les faux
tatouages reprend des thématiques universelles, oui, mais il se veut férocement contemporain dans son traitement cru de la romance des jeunes d’aujourd’hui », nuance-t-il.
Sauter dans le vide
De son côté, Sophie Dupuis perçoit des changements dans le paysage cinématographique d’ici. En salle le
9 mars, Chien de garde met en vedette Jean-Simon Leduc dans le rôle d’un collecteur de dettes qui se sent responsable de son clan dysfonctionnel (au sein duquel la chanteuse Marjo fait une apparition).
«Nous avons maintenant affaire à de nouveaux décors, à des thèmes plus inusités, à des personnages métamorphosés et à des rythmes vivifiants. Je m’inscris dans cette nouvelle vague qui frappe le Québec :
Chien de garde est délirant, dynamique, volubile et effervescent. Et j’ai l’impression que c’est ce qui s’en vient, dans notre cinéma […] Faire un premier long métrage, c’est exaltant, mais c’est aussi sauter dans le vide et l’inconnu. »
Et Sophie Dupuis de rappeler, là encore, à l’instar de ses collègues, l’importance de bien se préparer et de bien s’entourer. «Mes autres armes: beaucoup de répétitions, plein d’amour et d’écoute, énormément de temps et surtout une confiance infinie envers mon équipe talentueuse, expérimentée et généreuse. Je me suis aussi donné le droit de dire parfois “je ne sais pas”.»
Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’on a hâte de découvrir ce que ces quatre-là ont dans le ventre.