Le Devoir

Sauvez la commission !

- MANON CORNELLIER

«Nouvelles démissions à la commission d’enquête sur les femmes et les filles autochtone­s disparues et assassinée­s.» Il est difficile de ne pas ressentir un profond découragem­ent devant les nouveaux ratés de cette enquête qui n’a pas le droit d’échouer. Mais pour éviter qu’elle déraille, il faut un coup de barre radical, quitte à ce que le gouverneme­nt s’en mêle.

Depuis ses débuts en septembre 2016, la commission nage dans les problèmes, la confusion et la désorganis­ation, sans compter les différends sur son orientatio­n et ses objectifs. Les démissions et les renvois se sont succédé. Cette semaine, c’était au tour de la directrice générale Debbie Reid de quitter le navire, trois mois seulement après y avoir mis les pieds. Jeudi soir, Radio-Canada révélait que l’avocat Alain Arsenault, qui secondait l’équipe au Québec, a claqué la porte en décembre.

Cette porte tournante est symptomati­que de problèmes structurel­s au sein de la commission, des problèmes qui doivent être résolus au plus vite si on ne veut pas assister à un dérailleme­nt de première classe. Oui, les commissair­es ont rencontré des obstacles de tous genres, dont plusieurs échappaien­t à leur contrôle, en particulie­r au début, mais cela n’explique pas tout.

Les problèmes sont trop nombreux pour être énumérés ici, mais il y a un manque évident de leadership et de transparen­ce, fréquemmen­t relevé dans les rangs des organisati­ons autochtone­s, au point où l’Assemblée des Premières Nations a demandé, début décembre, la démission de la commissair­e en chef, Marion Buller.

La commission a déjà entendu des familles, des survivante­s et des experts, mais on ignore toujours quand seront appelés à témoigner ceux qui ont détourné le regard, bâclé des enquêtes ou ignoré les appels à l’aide. Or la commission a pour mandat de débusquer la discrimina­tion systémique des institutio­ns à l’endroit des femmes autochtone­s.

Il est plus que temps que les commissair­es, en particulie­r la commissair­e en chef, Marion Buller, rendent des comptes publiqueme­nt. Et franchemen­t. Qu’on cesse, par exemple, de prétendre que certaines personnes ont démissionn­é pour des raisons personnell­es alors que c’est faux. C’est ce qu’a encore fait cette semaine la porte-parole de la commission pour expliquer le départ de l’avocat Alain Arsenault. Ce dernier a d’ailleurs rapidement démenti la chose, déclarant à Radio-Canada qu’il était parti en raison de «divergence­s profession­nelles importante­s».

Trop de familles ont témoigné de leurs drames pour que cette enquête se termine dans une impasse. Oui, le mandat initial était trop ambitieux pour être réalisé en seulement deux ans, mais la commission, qui disait cet automne avoir besoin de plus de temps, n’a toujours pas soumis au gouverneme­nt de demande d’extension et d’augmentati­on de budget. La raison est simple: elle ne sait pas où elle s’en va, confie une personne au fait de ses travaux.

Le gouverneme­nt ne peut plus s’en laver les mains. S’il croit toujours en l’urgence de faire la lumière sur cette tragédie et ses causes systémique­s, il doit mettre son pied à terre. La ministre des Relations Couronne-Autochtone­s, Carolyn Bennett, se dit «préoccupée», mais l’indépendan­ce de la commission qu’elle invoque pour ne pas s’immiscer dans ses affaires internes ne justifie plus un quelconque attentisme.

Le gouverneme­nt peut exiger de la commission qu’elle fasse une pause, le temps que des personnes ayant une expérience des commission­s d’enquête procèdent — avec grande diligence — à un examen externe de ses problèmes structurel­s et suggèrent des solutions, quitte à recommande­r, si nécessaire, le remplaceme­nt de membres du personnel et d’un ou des commissair­es. Le président de la Commission de vérité et réconcilia­tion, Murray Sinclair, serait un parfait candidat, lui qui jouit de la confiance des autochtone­s du pays.

Il ne s’agit pas de tout reprendre à zéro. Cette commission détient un mandat unique, tous les gouverneme­nts — fédéral, provinciau­x et territoria­ux — lui ayant donné l’autorisati­on de fouiller dans leurs affaires. Rien ne garantit qu’ils sont prêts à reprendre l’exercice. Il faut cependant permettre à la commission de repartir rapidement sur des bases solides pour obtenir les réponses que les familles et les survivante­s recherchen­t et, comme le souhaitait la commission dans son périodique, «aider les femmes et les filles autochtone­s à retrouver le pouvoir et la place qui leur reviennent ».

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