De la nécessité du journalisme
Le Post de Steven Spielberg plonge Meryl Streep et Tom Hanks dans le scandale des Pentagon Papers
En 1969, Daniel Ellsberg photocopia des documents ultrasecrets après les avoir illégalement sortis du Pentagone. Le contenu du dossier intitulé Relations entre les États-Unis et le Viêt Nam, 1945-1967: une étude préparée par le département de la Défense avait de quoi ébranler les colonnes de la Maison-Blanche. En somme, on pouvait y lire que les tenants successifs du pouvoir savaient que la guerre du Vietnam était perdue d’avance et que les troupes de l’oncle Sam étaient condamnées avant même d’y avoir mis les pieds. Le film Le Post ne porte pas sur la «trahison héroïque» d’Ellsberg, mais sur le combat journalistique qui fut ensuite mené pour que soient rendus publics les Pentagon Papers.
Car combat il y eut. En effet, conscient de la bombe qui menaçait de lui exploser au visage, le président Richard Nixon bâillonna le New
York Times en utilisant l’Acte d’espionnage de 1917 après la publication d’extraits des Pentagon Papers. En amont, le concurrent The Washington
Post, également sur le coup, faisait face à un autre genre de difficultés, en l’occurrence financières.
Ode au quatrième pouvoir
À cet égard, Le Post (The Post) entrelace deux trames. L’une montre un
Washington Post qui essaie de rester pertinent, cela, sur fond de scandale connu de l’équipe éditoriale mais sur lequel celle-ci risque de ne pas pouvoir écrire.
L’autre s’attarde à la propriétaire du journal, Katharine «Kay» Graham (Meryl Streep), encore mal à l’aise dans des fonctions dont elle n’avait jamais pensé hériter. On la suit tandis qu’elle cherche sa voix et apprend à exercer un ascendant sur des employés majoritairement mâles et paternalistes (le plus imbuvable du lot joué par un Bradley Whitford grimé, curieusement, en sosie de Martin Scorsese). En Ben Bradley (Tom Hanks), éditeur au Post, Kay trouvera un allié inattendu.
On l’aura compris, il n’est pas innocent que Steven Spielberg revienne, à ce moment précis, sur ce choc des titans entre quatrième pouvoir et pouvoir étatique. Ici, le passé commente le présent, à savoir la guerre ouverte que mène le président Trump contre les médias. La thèse du film, en filigrane, est qu’un contre-pouvoir journalistique, tout imparfait soit-il, est nécessaire face à un pouvoir politique qui est, c’est dans sa nature, sujet aux dérives.
Le message est louable, bien articulé et bien présenté. On pourra toutefois objecter qu’il est une différence fondamentale, et pour le moins inquiétante, entre autrefois et maintenant. À l’époque, les Américains ignoraient que Richard Nixon était un escroc — « a crook », pour reprendre son expression. En 2016, ils ont à l’inverse élu Donald Trump en sachant pertinemment qu’il est un menteur et un agresseur. Voilà pour le fond.
Une certaine lourdeur
Pour ce qui est de la forme, Spielberg a de toute évidence étudié l’oeuvre de référence d’Alan J. Pakula Les hommes du président (All the President’s Men ; 1976), sur le duo de journalistes du même Washington Post qui fit éclater le scandale du Watergate. C’est dire que Spielberg insuffle autant de dynamisme qu’il le peut aux innombrables échanges, réunions et conversations téléphoniques, incontournables du genre. Une certaine lourdeur prévaut néanmoins, surtout au mitan.
La reconstitution historique au point (hormis quelques mauvaises perruques) et le montage expert offrent une bonne diversion. Et c’est sans compter la distribution cinq étoiles.
Le Post marque ainsi la rencontre au sommet entre Streep, Hanks et Spielberg. La première n’avait encore jamais joué avec les deux autres qui, eux, en sont à leur cinquième collaboration.
On s’attendait à être transporté par une telle convergence de talents. On ne l’est pas. Tout le monde est irréprochable, mais personne ne se surpasse. Parfois, on sent les acteurs un peu sur le pilote automatique. Leurs glorieuses réputations, méritées, ne devraient pas excuser un jeu en deçà de leurs capacités.
Constat mitigé
Lors des plus récents Golden Globes, l’un des meilleurs gags fut de voir une assistante apporter un monceau de trophées dès la mention par l’animateur Seth Meyers du film de Spielberg. Et de fait, Le Post est d’abord un film dit «de prestige» calibré pour briller pendant la saison des prix.
Peu de cinéastes possèdent une meilleure compréhension du langage cinématographique que Steven Spielberg. Or, comme dans son autre drame historique récent Le pont des espions (Bridge of Spies), la machine ronronne sans jamais vrombir.
Contrairement aux meilleurs crus du cinéaste, et en dépit des bonnes intentions qu’affiche le film, Le Post apparaît plus construit que senti, plus superficiel que viscéral. Constat renforcé à la toute fin, lorsqu’on aboutit aux origines de ce qui engendrera le scandale du Watergate.
On se dit alors qu’il y avait encore peut-être une ou deux choses que Spielberg aurait pu apprendre de Pakula.