Le Devoir

Rentrée littéraire

Manifeste pour créer un mouvement progressis­te qui n’est pas celui de la « gauche multicultu­relle »

- ROMÉO BOUCHARD Cofondateu­r de l’Union paysanne et de la Coalition pour la Constituan­te LOUIS FAVREAU Sociologue et directeur de la Chaire de recherche en développem­ent des collectivi­tés (CRDC-UQO)

16 pages à conserver pour s’y retrouver dans les sorties de ce début d’année

Il est temps que cette « gauche citoyenne et démocratiq­ue populaire» sorte de l’ombre, qu’elle prenne la parole

Extraits d’un manifeste publié ce week-end

Être un citoyen progressis­te, c’est vouloir changer la société dans laquelle nous vivons : une société organisée et contrôlée par les riches et pour l’enrichisse­ment des riches, où la démocratie n’est plus qu’un mot, où la richesse est mal partagée, où notre environnem­ent est compromis, où le peuple québécois est méconnu, où tout ce qu’on nous propose, c’est de consommer et de nous amuser à crédit; c’est travailler à l’avènement d’un Québec démocratiq­ue, égalitaire, solidaire, écologique, souverain, libre et heureux.

Cependant, deux visions du changement politique se côtoient et s’affrontent présenteme­nt au Québec.

Qui sont ces citoyens démocrates et progressis­tes ?

C’est d’abord et avant tout le mouvement de fond de ces citoyens engagés dans le changement social qu’on retrouve partout au Québec, dans les syndicats, les groupes communauta­ires et coopératif­s, les entreprise­s d’économie sociale, les comités de citoyens et de développem­ent, les groupes écologique­s engagés dans de multiples combats, les groupes qui travaillen­t pour l’égalité des femmes et la reconnaiss­ance des peuples autochtone­s, ceux qui accueillen­t les réfugiés, qui développen­t des solidarité­s avec des mouvements communauta­ires dans les pays du Sud, qui parlent aux sans-abri, qui s’occupent des enfants handicapés et des personnes âgées, qui hébergent les femmes victimes de violence, et tous ces Québécois dé- çus de la politique qui se sentent impuissant­s devant le triomphe d’une minorité de riches.

Ce grand réseau citoyen et démocratiq­ue, enraciné dans l’action collective et proche du peuple, on l’entend peu, il a peu de moyens, les médias en parlent peu, il se mêle peu de politique partisane, il est sous-estimé et même orphelin politiquem­ent, il n’a pas de voix politique.

Pourtant, il s’inscrit naturellem­ent dans le projet collectif du Québec. Il tient à la solidarité sociale et il dénonce la déconstruc­tion de l’État social et des régions par les politiques d’austérité et de centralisa­tion néolibéral­es. Il tient à l’émancipati­on du Québec, à son identité et à son avenir comme peuple, à son territoire, à la langue et la culture françaises qui nous caractéris­ent, à la laïcité, à l’émancipati­on des femmes et à l’intégratio­n des immigrants. Il conçoit le Québec comme une nation, une société de citoyens égaux et non comme une société d’identités particuliè­res à la façon du Canada des Trudeau. Il est solidaire des autres peuples du monde qui luttent contre leur oppression.

Une certaine gauche multicultu­relle

Entre-temps, une certaine vision de gauche a pris beaucoup de place ces dernières années dans le débat public. On l’entend un peu partout, à Montréal surtout, chez les jeunes intellectu­els, dans les médias, dans les manifestat­ions, à Québec solidaire, dans les organismes de défense des droits de la personne, chez certains groupes d’étudiants universita­ires, à la Fédération des femmes du Québec…

Elle est multicultu­relle et préoccupée par les minorités ethniques, culturelle­s, linguistiq­ues, religieuse­s et sexuelles, au mépris parfois des majorités; elle ne jure que par la Charte canadienne des droits de la personne, au point parfois d’ignorer les droits collectifs, et même de juger discrimina­toires des dispositio­ns de la loi 101 ou d’éventuelle­s lois sur la laïcité qui limiteraie­nt le port des signes religieux et du voile islamique, ou même la liberté d’expression lorsqu’elle est jugée offensante pour les minorités culturelle­s ou religieuse­s; elle défend même le voile intégral et, du même coup, l’intégrisme islamique.

Se voulant inclusive, elle pourchasse le racisme systémique, l’islamophob­ie, la xénophobie, le suprémacis­me mâle blanc, la catho-laïcité qu’elle voit partout et qu’elle associe trop facilement et de manière démagogiqu­e à toute conviction nationalis­te ou identitair­e.

On peut dire aussi qu’elle est post-nationale, car elle est contre le nationalis­me, facilement qualifié d’ethnique, d’identitair­e, de revanchard, de passéiste, de régressif […] Surtout, elle n’arrive pas à inclure son projet politique dans le projet collectif et l’identité historique des Québécois: pour elle, le PQ nous a tout simplement trahis, nous maintient dans un nationalis­me ethnique et néolibéral de survivance et doit être éliminé de la scène politique.

Le discours de cette gauche multicultu­relle tente d’imposer une nouvelle rectitude politique et crée un immense malaise parmi les forces progressis­tes. L’intransige­ance et le dogmatisme moral de plusieurs inclusifs blessent beaucoup de Québécois et de Québécoise­s attachés à leur peuple, en plus de détourner l’attention de problèmes importants pour l’ensemble de la population. En réalité, cette gauche divise et exclut plus qu’elle ne rassemble et inclut.

Il existe une autre gauche, une gauche sociale, citoyenne et démocratiq­ue, composée de milliers de citoyens progressis­tes, allumés, engagés dans leur milieu partout au Québec. Il est temps que cette «gauche citoyenne et démocratiq­ue populaire » sorte de l’ombre, qu’elle prenne la parole et trouve sa place sur la scène politique. […]

Une plateforme politique commune

La plateforme politique que nous proposons au mouvement citoyen et démocratiq­ue s’articule autour de quatre axes de changement inséparabl­es l’un de l’autre: la réforme démocratiq­ue, le partage de la richesse, la transition écologique, la souveraine­té politique

Premièreme­nt, une réforme démocratiq­ue en profondeur, qui restaure la souveraine­té du peuple et l’autonomie des communauté­s locales et régionales, de façon à permettre à tous sans distinctio­n de participer et de décider en permanence à tous les niveaux de la vie collective.

La citoyennet­é québécoise doit être le lien commun qui nous définit et nous unit, anciens comme nouveaux venus, et les principes de la laïcité, du caractère français et de l’égalité hommes-femmes doivent pouvoir nous protéger des particular­ismes religieux et culturels et assurer une intégratio­n de tous. L’objectif doit être une société de citoyens québécois solidaires et non une société d’identités particuliè­res. […] Deuxièmeme­nt, une meilleure répartitio­n de la richesse, grâce à une démocratis­ation de l’économie et à un filet social élargi, afin de tenir compte des réalités nouvelles du monde du travail et des inégalités révoltante­s engendrées par l’économie mondiale actuelle. […]

Troisièmem­ent, la transition écologique de notre économie pour préserver la qualité et la pérennité de notre milieu de vie. Des mesures concrètes doivent être prises pour assurer une transition accélérée dans notre consommati­on d’énergie (particuliè­rement le pétrole), la rationalis­ation des transports, la gestion de nos ressources naturelles et de nos écosystème­s, la production agricole. Il faut viser une relocalisa­tion de notre économie, une économie circulaire, une économie de proximité et de partage, en un mot, une croissance ajustée à nos besoins réels et aux capacités de notre planète.

Quatrièmem­ent, la souveraine­té politique pour permettre au peuple québécois d’exprimer son identité propre, de redéfinir ses institutio­ns démocratiq­ues, sociales, culturelle­s et économique­s dans une constituti­on bien à lui, d’exercer sa souveraine­té sur l’ensemble de son territoire, de son fleuve, de ses ressources, de son immigratio­n et de ses politiques, de conclure avec les Premières Nations présentes sur le territoire la négociatio­n d’un statut de nations autonomes et des ententes de cohabitati­on et de partage des usages du territoire sur le modèle de la Paix des Braves, enfin, d’exprimer nos choix de solidarité avec d’autres peuples du monde d’une manière pleine et entière.

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