Le Devoir

Guerre de mots entre l’UPAC et l’Assemblée nationale

L’institutio­n contredit le commissair­e Lafrenière sur la suspension de l’enquête sur les fuites dans les médias

- MARIE-MICHÈLE SIOUI Correspond­ante parlementa­ire à Québec

L’Unité permanente anticorrup­tion a annoncé vendredi avoir suspendu son enquête sur le député libéral Guy Ouellette, après quoi l’Assemblée nationale lui a reproché de l’avoir fait en utilisant de faux motifs.

Après l’épisode lexical du «piège» ou de l’«appât» — selon le nom donné à la technique ayant permis de procéder à l’arrestatio­n du député Ouellette le 25 octobre —, voilà que l’UPAC s’est empêtrée dans les explicatio­ns entourant la suspension de son enquête sur des fuites dans les médias.

«On a reçu une correspond­ance de l’Assemblée nationale le 8 janvier qui faisait état de l’immunité parlementa­ire et, à partir de ce momentlà, par prudence, on a mis l’enquête en suspension», a déclaré le patron de l’UPAC, Robert Lafrenière, dans une mêlée de presse.

Il expliquait alors la décision de l’unité policière d’annuler des rencontres qu’elle a sollicitée­s le 8 janvier auprès des députés péquiste et caquiste Pascal Bérubé et Éric Caire. L’UPAC aurait voulu discuter avec les deux élus dans le cadre de son enquête sur Guy Ouellette, qu’elle soupçonne d’être à l’origine des fuites médiatique­s sur certaines de ses opérations, dont Mâchurer. Le député ne fait face à aucune accusation.

La version du commissair­e Lafrenière a tenu quelques heures, jusqu’à ce que les journalist­es reçoivent un communiqué coiffé du titre «L’Assemblée nationale rectifie les faits ».

« La lettre qu’a évoquée le commissair­e est une correspond­ance entre procureurs relativeme­nt à la procédure pour des dossiers en cours. Le commissair­e se sert donc de cette correspond­ance entre procureurs pour justifier l’annulation de rencontres avec des députés», a écrit une porteparol­e de l’Assemblée nationale, précisant que l’institutio­n n’a «jamais demandé» à l’UPAC d’agir de la sorte.

La porte-parole de l’UPAC, Anne-Frédérick Laurence, n’en a pas fait grand cas. «Ça se peut que ce soit une lettre qui ait été écrite par les avocats aux avocats», a-t-elle reconnu. «Mais on travaille avec les procureurs pour faire l’enquête», a-t-elle ajouté.

Pascal Bérubé a lui aussi reproché à Robert Lafrenière de déformer la réalité.

«Je sais une chose: c’est que les échanges sur les enjeux [d’immunité parlementa­ire] étaient préalables à l’appel que j’ai reçu [le 8 janvier]. Donc, ce n’est pas lié. Quand M. Lafrenière a dit ça, c’est faux », a-t-il attesté.

Un aperçu limité du climat de travail

Des documents dévoilés vendredi par l’UPAC ont par ailleurs permis d’avoir un aperçu partiel du climat de travail qui règne dans une division précise de l’unité policière.

Rien dans les documents ne permet d’en connaître davantage sur la situation qui prévaut au sein des équipes qui mènent les enquêtes criminelle­s.

À la demande du ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, l’UPAC a remis deux rapports sur son Service de vérificati­on de l’intégrité des entreprise­s (SVIE). Ce service était dirigé jusqu’en novembre par Marcel Forget, mis à l’écart en raison d’allégation­s mettant en doute son intégrité.

Le premier document fait état d’un départ «sur les chapeaux de roue», de «problèmes récurrents en matière d’organisati­on du travail» et d’un «taux de départs volontaire­s qui est demeuré élevé depuis les débuts du service». Le second note que «quelques personnes évoquent ne pas avoir confiance envers la direction» et contient des recommanda­tions, par exemple l’ajout de sept enquêteurs pour « faire baisser le nombre de dossiers» traités par le SVIE.

Les deux documents s’appuient sur un premier rapport, qui faisait état en septembre 2016 du climat de travail lamentable qui prévalait à l’UPAC. Ce rapport n’a jamais été dévoilé; l’UPAC en a plutôt remis une version entièremen­t caviardée aux parlementa­ires.

Un autre rapport, produit en janvier 2017 par une employée de la Sûreté du Québec à la suite de plaintes d’employés du départemen­t des enquêtes de l’UPAC, est lui aussi demeuré secret. «Le rapport ne m’a jamais été remis», a déclaré Robert Lafrenière. Et d’ailleurs, il ne l’intéresse pas, puisqu’il concerne des policiers de la SQ qui sont prêtés à l’UPAC: «Ça leur appartient, et toutes les relations de travail, même l’équipe qui est consacrée — je dis bien consacrée — à l’UPAC, les relations de travail, ça leur appartient», a-t-il déclaré.

«Il s’agit d’un rapport de la SQ»; «nous n’avons pas le rapport», a aussi affirmé l’attachée de presse du ministre Coiteux, Marie-Ève Pelletier.

La SQ a confirmé qu’elle n’avait pas l’intention de rendre le document public, puisqu’il s’agit à son avis d’un «document de travail», de «quelque chose de préliminai­re», a expliqué le capitaine Guy Lapointe. Robert Lafrenière en connaît vraisembla­blement la teneur, puisque «le contenu du document a été divulgué, donné verbalemen­t» à des gestionnai­res de l’UPAC lors d’une rencontre organisée l’an dernier.

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FRANCIS VACHON LE DEVOIR Le commissair­e Robert Lafrenière prétend avoir suspendu l’enquête sur les fuites dans les médias après avoir reçu une correspond­ance de l’Assemblée nationale qui faisait état de l’immunité parlementa­ire.

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