Le Devoir

Les agriculteu­rs ne veulent plus céder un pouce, même pour sauver l’ALENA

- ÉRIC DESROSIERS

Le Canada ne doit pas céder un pouce sur le système de gestion de l’offre à la table de renégociat­ion de l’ALENA, disent les producteur­s concernés. Ni en réponse à l’exigence extravagan­te du gouverneme­nt Trump de son démantèlem­ent, ni dans l’éventualit­é où les discussion­s deviendrai­ent plus raisonnabl­es et où on lui demanderai­t, comme lors des dernières négociatio­ns commercial­es, d’assouplir encore un peu sa politique agricole.

Les agriculteu­rs canadiens sous gestion de l’offre et leurs gouverneme­nts sont unanimes face à la nature excessive des demandes américaine­s dans le cadre de la renégociat­ion de l’Accord de libre-échange nordaméric­ain (ALENA), a déclaré vendredi, en conférence de presse à Montréal, le président de l’Union des producteur­s agricoles (UPA) et porte-parole du Mouvement pour la gestion de l’offre, Marcel Groleau. «Par rapport à ce que les Américains demandent, nous serions mieux sans l’ALENA qu’avec un [nouveau] traité.»

On en veut notamment à cette exigence du gouverneme­nt de Donald Trump d’un démantèlem­ent pur et simple en dix ans du système de gestion de l’offre qui s’applique au Canada à la production de lait, de volaille et d’oeufs.

Mais, même si le camp américain en venait à modérer sa position et que les négociatio­ns prenaient un tour plus normal, les agriculteu­rs ne seraient pas plus disposés à ce qu’on discute d’éventuels assoupliss­ements au système actuel, ni de l’entrée au Canada de plus d’importatio­ns en franchise de droits, comme cela a été le cas dans les dernières ententes commercial­es conclues par le Canada avec l’Union européenne ainsi que dans le cadre du Partenaria­t transpacif­ique. «On a assez donné, s’est exclamé le président de La Coop fédérée, Ghislain Gervais. Ça suffit que, dans le cadre de négociatio­ns, la gestion de l’offre serve de monnaie d’échange. Aujourd’hui, ce qu’on demande, c’est le maintien intégral du système.»

Scénario catastroph­e

Tenue à la veille de la sixième ronde de la renégociat­ion de l’ALENA, qui se tiendra du 21 au 29 janvier à Montréal, la conférence de presse de vendredi a servi à dévoiler les conclusion­s d’une étude commandée à la firme de consultant­s Pricewater­houseCoope­rs (PwC) sur les impacts d’un éventuel démantèlem­ent du système de gestion de l’offre canadien pour les producteur­s de volaille et d’oeufs. Laissés sans défense face à la concurrenc­e américaine de gigantesqu­es fermes généreusem­ent subvention­nées, les producteur­s canadiens perdraient de 40% à 70% de leur propre marché national dans le poulet, de 80% à 90% de celui dans les oeufs et la totalité de celui dans la dinde, dit-on, faisant disparaîtr­e de 58 000 à 80 000 emplois au Canada — dont 26 000 au Québec —, principale­ment situés en région.

Ces estimation­s s’ajoutent à celles d’une autre étude du Boston Consulting Group, réalisée en 2015 et portant sur le secteur du lait, cette fois, où l’on évaluait les pertes à 40% du marché et jusqu’à 24 000 emplois directs au Canada, dont la moitié au Québec.

Les baisses de prix pour les consommate­urs qui en résulterai­ent seraient probableme­nt modestes, estime PwC. Pour éviter ce démantèlem­ent de leur agricultur­e et défendre une certaine souveraine­té alimentair­e, dit-on, les gouverneme­nts au Canada se verraient rapidement obligés de remplacer le système actuel de quotas de production et des barrières à l’importatio­n par un soutien financier «massif».

Mais une telle solution est exclue, a affirmé le ministre québécois de l’Agricultur­e, Laurent Lessard. « Il n’y a pas de plan B. […] Lorsqu’on rencontre le gouverneme­nt canadien, on lui dit: “Il n’y a pas un morceau qui s’enlève, parce que c’est toute la structure qui tomberait.”»

«Ça suffit que, dans le cadre de négociatio­ns, la gestion de l’offre serve de monnaie d’échange», dit le président de La Coop fédérée, Ghislain Gervais

Difficiles discussion­s

Jusqu’à présent, les parties ne sont pas parvenues à avancer d’un pouce sur les enjeux les plus litigieux de la négociatio­n entreprise à la fin de l’été et d’abord censée se conclure avant la fin de 2017. Accusé de présenter des exigences excessives seulement pour avoir l’excuse de conclure à l’échec de l’exercice, le camp américain demande aussi une forte hausse du contenu américain minimal dans la fabricatio­n des automobile­s, l’éliminatio­n ou la neutralisa­tion des mécanismes de règlement des différends, un resserreme­nt de l’accès au marché des contrats publics américains et la fin automatiqu­e de l’entente au bout de cinq ans, à moins que les trois pays ne conviennen­t chaque fois de la renouveler.

 ?? PETER POWER LA PRESSE CANADIENNE ?? Laissés sans défense face à la concurrenc­e américaine de gigantesqu­es fermes généreusem­ent subvention­nées, les producteur­s canadiens perdraient, entre autres, de 80% à 90% de leur propre marché national des oeufs.
PETER POWER LA PRESSE CANADIENNE Laissés sans défense face à la concurrenc­e américaine de gigantesqu­es fermes généreusem­ent subvention­nées, les producteur­s canadiens perdraient, entre autres, de 80% à 90% de leur propre marché national des oeufs.

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