Le Devoir

La bande des six : des citoyens s’engagent pour soutenir les proches des victimes.

Des citoyens se sont relevé les manches pour tisser des liens avec la communauté musulmane

- ISABELLE PORTER à Québec

Le lendemain soir de la tragédie du 29 janvier 2017, des milliers de personnes se sont rassemblée­s près de la mosquée pour une émouvante vigile aux chandelles. Une initiative mise sur pied dans l’urgence par six citoyens discrets réunis par les réseaux sociaux.

Tommy, Annie, Alex, Sébastien, Maude et Sarah ne se connaissai­ent pas tous avant la nuit du 29 au 30. Mais ils ont eu la même idée en apprenant ce qui s’était passé à la mosquée: il fallait faire quelque chose.

«On s’est rencontrés sur les réseaux sociaux quelques heures après l’attentat», raconte Annie Demers-Caron, une professeur­e en anthropolo­gie, lors d’une rencontre avec deux autres membres du groupe vendredi. «Tout le monde voulait organiser quelque chose en même temps», ajoute Tommy Bureau, employé dans une centrale syndicale. «Il y avait plusieurs événements qui étaient en train de se créer en même temps, alors au lieu de travailler en silo, on s’est réunis pour planifier quelque chose tous ensemble.»

La vigile étant prévue pour le lendemain, les six n’ont pas dormi de la nuit. «Il fallait gérer les communiqué­s de presse, qui les envoyait, qui serait porte-parole, qui ferait les liens avec la Ville, les politicien­s, la police… On a réglé ça jusqu’à 4 h du matin. »

La «cellule de base»

Beaucoup d’autres ont mis la main à la pâte, souligne Annie, mais les six ont pris en charge la «cellule de base». Tout s’est fait par Internet et par téléphone, à tel point qu’ils ne se sont vus en personne que le lendemain soir, sur le site de la vigile. Des milliers de personnes avaient répondu à l’invitation. «Ç’a été facile d’attirer des gens, indique Tommy Bureau. On a surtout joué un rôle de gouvernail. On sentait sur les réseaux sociaux à quel point les gens voulaient se réunir. »

Annie Demers-Caron se rappelle à quel point les gens étaient surpris «d’être si nombreux». «Il n’y a pas juste de l’extrême droite à Québec», lance-t-elle un sourire en coin. «Dans les médias, ce qu’on voit beaucoup à Québec, c’est l’autre côté de la médaille, l’intoléranc­e», déplore Tommy Bureau.

«Ç’a été comme un baume», se rappelle Alex Saulnier, une étudiante de l’Université Laval active notamment dans des groupes féministes. « Cet événement a permis de réunir des groupes militants de différente­s mouvances, mais aussi des citoyens et des citoyennes. Il va rester quelque chose de ça. »

« Souvent, quand on parle des groupes antiracist­es, l’image qui nous vient en tête est celle de militants un peu agressifs qui veulent lutter contre le méchant racisme, ajoute Tommy Bureau. Mais ce qu’on a vu à la vigile, ce sont des gens qui veulent parler d’accueil, de solidarité, de toutes sortes de valeurs positives. »

Pour les victimes

Alex raconte que les parents d’une de ses amies étaient dans la mosquée lors de l’attaque. Annie, elle, avait souvent visité le Centre culturel islamique de Québec avec ses étudiants dans le cadre de ses cours en anthropolo­gie. Tommy signale que la conjointe de son oncle est musulmane.

Mais ces liens n’ont pas vraiment de rapport avec leur participat­ion à cette aventure, disentils. «On ne se mobilise pas pour notre ami ou la personne qu’on connaît, résume Tommy. C’est une cause qui nous tient à coeur. »

À la suite de la vigile, le groupe s’est réuni de nouveau pour en prolonger l’effet. Est née alors l’idée d’envoyer des lettres de réconfort aux familles des victimes et à leurs proches. Baptisée «Lettre à toi», cette initiative a permis de recueillir au sein du public plus de 350 lettres manuscrite­s en provenance de partout. « Malgré mes faibles moyens, je te promets de mettre tout en oeuvre pour faire tomber autour

de moi les préjugés qui divisent et pour bâtir les ponts qui nous unissent », peut-on lire dans l’une d’entre elles. «S’il te plaît ne perds pas espoir. »

«Les lettres ont été photocopié­es et on a fait une quinzaine de cartables, raconte Annie Demers-Caron. On les a distribués dans des mosquées, mais aussi dans des lieux non religieux [comme des organismes communauta­ires]. Parce qu’on l’oublie, mais il y a seulement 40% des personnes de confession musulmane qui fréquenten­t les mosquées. »

Le groupe a aussi conçu 11 boîtes à partir

des 100 plus belles lettres à l’intention des familles des victimes et des blessés. Certains les ont reçues tout récemment. «L’idée, c’était de faire perdurer la solidarité dans le temps», résument Annie et Tommy.

Au cours de la semaine prochaine, différente­s activités se tiendront pour commémorer le drame, et le collectif créé l’an dernier est de nouveau au travail. Les détails de la programmat­ion doivent être dévoilés lundi à l’hôtel de ville de Québec.

 ?? RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR ?? Dans les jours qui ont suivi l’attentat, c’est tout le Québec qui a été secoué par une vague de tristesse. Ici, des musulmans se recueillen­t lors de la prière prononcée aux funéraille­s des trois Guinéens.
RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Dans les jours qui ont suivi l’attentat, c’est tout le Québec qui a été secoué par une vague de tristesse. Ici, des musulmans se recueillen­t lors de la prière prononcée aux funéraille­s des trois Guinéens.
 ?? RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR ?? Dès le soir du 29 janvier 2017, la «bande des six» a orchestré un mouvement de solidarité et elle continue d’envoyer des lettres de réconfort aux familles.
RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Dès le soir du 29 janvier 2017, la «bande des six» a orchestré un mouvement de solidarité et elle continue d’envoyer des lettres de réconfort aux familles.

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