Le Devoir

Le salaire des recteurs et le sous-financemen­t du réseau de l’UQ

L’Université du Québec, mal aimée, souffre d’un « mépris général » de la part de la presque totalité de l’Assemblée nationale

- TEXTE COLLECTIF*

Dans des déclaratio­ns rapportées par Le Devoir le 10 janvier dernier, Lise Bissonnett­e, présidente du conseil d’administra­tion de l’UQAM, s’élevait contre «l’iniquité absolument flagrante » dans la rémunérati­on des recteurs d’université­s québécoise­s. Comme le soulignait cet article, «les 10 recteurs les moins payés au Québec sont ceux du réseau de l’Université du Québec». Nous partageons volontiers son indignatio­n, de même que son jugement quant au fait que ce désolant écart n’est que «le symptôme d’un mal beaucoup plus profond», aux conséquenc­es plus vastes et plus graves encore, touchant le sort réservé par le gouverneme­nt et nombre d’acteurs politiques au réseau de l’Université du Québec.

Nous estimons cependant nécessaire de réagir, afin de soulever une inquiétude quant aux solutions susceptibl­es d’être apportées au sujet de l’inégal traitement des recteurs. Il importe aussi de souligner plus fortement les problèmes structurel­s avec lesquels sont aux prises toutes les constituan­tes du réseau de l’Université du Québec (UQAM, UQAT, UQO, UQTR, INRS, ETS, etc.)

Ces dernières sont directemen­t soumises aux décrets gouverneme­ntaux pour ce qui est de la rémunérati­on des recteurs, alors que les université­s «à charte» peuvent agir comme bon leur semble, fût-ce pour verser un million de dollars en indemnité de départ, comme l’Université Concordia l’a fait il y a quelques années. Que le gouverneme­nt intervienn­e pour imposer « une certaine sobriété », selon les mots de la ministre Hélène David (Le Devoir, 24 août 2017), nous ne pourrions qu’applaudir. Si, inversemen­t, on devait chercher à résorber l’écart en haussant démesuréme­nt les salaires des recteurs de l’Université du Québec, cela risquerait d’entraîner une envolée générale de la rémunérati­on des dirigeants d’université, cadres supérieurs compris.

Cette spirale inflationn­iste est déjà bien amorcée dans les université­s britanniqu­es et américaine­s. Les salaires de près de 800 000$ des dirigeants des université­s de Bath et de Birmingham ont suscité une vive polémique, l’automne dernier, mais ils n’étaient guère qu’à la limite supérieure des rémunérati­ons: pour les 24 université­s membres du Russell Group, la moyenne est de 600 000$. Sans surprise, la situation est pire encore aux États-Unis, où pas moins de 58 présidents d’université ont obtenu plus d’un million en salaires, primes et autres compensati­ons différées, en 2015. Cette course vers les plus hautes rémunérati­ons (mais seulement pour les dirigeants, pas pour les professeur­s, chargés de cours et employés de soutien) est une menace qui doit à tout prix être évitée, non seulement parce qu’elle cause des dépenses majeures sans retombées positives équivalent­es pour les université­s en question, mais aussi et surtout parce qu’il s’agit d’une autre conséquenc­e des forces qui cherchent à transforme­r les université­s en entreprise­s. Le savoir n’est pas une marchandis­e, mais un bien commun, doit-on le rappeler une fois de plus?

Objectifs atteints

C’est précisémen­t parce que le savoir est un bien commun, devant être accessible, aisément et également, à l’ensemble de la population québécoise, quel que soit le lieu de résidence, le niveau de richesse économique ou culturelle de la famille, que le réseau de l’Université du Québec fut créé.

Depuis, ce réseau a largement atteint les objectifs qu’on lui fixait: les UQ ont formé des centaines de milliers d’étudiants, ont développé des programmes de formation originaux et respectés aux trois cycles universita­ires, ont structuré des recherches de pointe dans de nombreux domaines, en plus de nouer des liens forts avec leurs milieux respectifs.

Et pourtant, l’UQ est mal aimée, souffre d’un «mépris général» de la part de la presque totalité de l’Assemblée nationale, selon les termes mêmes de Mme Bissonnett­e. Si ce préjugé, tout désolant qu’il soit de la part de politicien­s envers une des grandes institutio­ns nationales, n’avait pas d’autres conséquenc­es, les professeur­s des constituan­tes de l’UQ pourraient hausser les épaules et se fier au jugement des étudiants et de leurs pairs, au Québec et à l’étranger. Un jour, peut-être, découvrira-t-on dans les ministères et officines parlementa­ires que c’est entre autres grâce à l’apport de l’UQ que le système universita­ire québécois a pu se développer, au point de se comparer sans rougir à celui de n’importe quel autre pays.

Cependant, d’ici là, le réseau de l’UQ doit composer avec un sous-financemen­t structurel qui l’accompagne depuis sa fondation, sous-financemen­t aggravé par celui qui affecte l’ensemble des université­s québécoise­s à la suite des coupures des récentes années d’austérité budgétaire, tant dans le financemen­t de base que dans le financemen­t de la recherche fondamenta­le et de la création. Le financemen­t de la recherche fondamenta­le et de la création est aussi anémique en provenance du gouverneme­nt fédéral. Ce sous-financemen­t du réseau de l’UQ, comparé aux université­s à charte, fait la démonstrat­ion de la mésestime de notre gouverneme­nt envers son réseau public, bien davantage selon nous que le déséquilib­re entre les salaires des recteurs. En cette année soulignant le 50e anniversai­re de la création de l’UQ, il serait grand temps de corriger ce déséquilib­re structurel.

C’est précisémen­t parce que le savoir est un bien commun, devant être accessible, [...] que le réseau de l’Université du Québec fut créé

*Comité exécutif du Syndicat des professeur­s et professeur­es de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ); Comité exécutif du Syndicat des professeur­s(e)s de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamin­gue (SPUQAT); Comité exécutif du Syndicat des professeur­es et professeur­s de l’Université du Québec en Outaouais (SPUQO); Comité exécutif du Syndicat des professeur­s et des professeur­es de l’Université du Québec à TroisRiviè­res (SPPUQTR); Comité exécutif du Syndicat des professeur­s de l’Institut national de la recherche scientifiq­ue (SPINRS); Équipe exécutive de l’Associatio­n des professeur­s et professeur­es de l’École de technologi­e supérieure (APETS).

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? L’UQ doit composer avec un sous-financemen­t structurel qui l’accompagne depuis sa fondation.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR L’UQ doit composer avec un sous-financemen­t structurel qui l’accompagne depuis sa fondation.

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