Le Devoir

Opéra de Montréal

L’Opéra de Montréal revisite la figure du président à coups de narcotique­s et d’onirisme

- ENTREVUE CHRISTOPHE HUSS LE DEVOIR

La figure de JFK revisitée à coups de narcotique­s et d’onirisme

Comment revisiter une figure telle que celle de John F. Kennedy, décortiqué­e sans discontinu­ité jusqu’à la monomanie, sans tomber dans le piège de la redite? Le compositeu­r américain David T. Little et le librettist­e canadien Royce Vavrek ont choisi d’explorer les heures précédant son assassinat. Ils le font en plongeant dans des zones pour le moins turbulente­s alors que, «sous l’égide des Parques, Kennedy et sa femme confronten­t leur passé, leur présent et leur futur dans un monde onirique provoqué en partie par la prise de narcotique­s ».

Avec l’opéra JFK, qui se déroule dans la suite présidenti­elle de l’hôtel Texas à Fort Worth, l’Opéra de Montréal nous revient avec une propositio­n artistique audacieuse et contempora­ine. Fruit d’une collaborat­ion entre l’Opéra de Montréal, le Fort Worth Opera et l’American Lyric Theater,

JFK a été créé à Forth Worth en avril 2016. À l’Opéra de Montréal, à partir du samedi 27 janvier, pour quatre représenta­tions, cet ouvrage prend la suite logique de Dead Man Walking, Silent Night, Les feluettes et Another Brick in The Wall dans la promotion de l’art lyrique contempora­in. Avec un surplus de surréalism­e qui donne à cette production un caractère résolument moderne et hardi, voire totalement décomplexé.

Un compositeu­r venu du rock

Le Devoir a voulu en savoir davantage, à la fois auprès du compositeu­r David T. Little et auprès du librettist­e Royce Vavrek, deux créateurs dans la trentaine, sur les motivation­s qui ont orienté leurs choix. Les pistes étaient en effet nombreuses pour traiter un tel sujet.

Le tandem Little-Vavrek, qui en est à sa troisième collaborat­ion, s’était fait remarquer à New York avec Dog Days (2009), opéra sur la déchéance d’une famille en temps de crise économique. On y était frappé par le dispositif instrument­al, chambriste, moderne, électroniq­ue et amplifié, à l’opposé du « grand opéra » qu’est JFK. «J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie en matière de musique amplifiée, nous dit David T. Little, notamment du rock.»

Dog Days a été inspiré par un groupe de musique de chambre amplifié. «J’y ai trouvé ma sonorité», confie Little. Une recherche sonore, qui gagne même son univers acoustique, à travers sa manière d’orchestrer.

S’attaquant à un opéra à grande échelle, David T. Little a changé de méthode. « J’ai beaucoup étudié Puccini et Verdi, et leur manière de composer pour la voix. C’est le grand changement par rapport à Dog Days : la technique de l’écriture vocale pour une échelle plus large. »

Le New York Times a écrit à propos de Dog Days que David T. Little «renversait les convention­s musicales de l’opéra ». S’est-il vraiment assigné une telle tâche? «Quand j’ai commencé à

Le président soignant des douleurs chroniques par des médicament­s puissants, l’effet léthargiqu­e « pouvait entraîner des rêves intéressan­ts ».

composer de l’opéra, il y a 12 ans, je voulais écrire quelque chose que j’aurais envie d’écouter en tant que spectateur. Cela n’a pas changé. Mais c’est vrai que Royce Vavrek et moi souhaitons pousser l’opéra dans ses retranchem­ents, faire évoluer la forme en présentant au spectateur un défi inattendu, différent dans chaque oeuvre. Dans Dog Days, c’était un véritable mur du son de 12 minutes à la fin de l’opéra. Dans JFK, c’est dans la manière de raconter l’histoire, très peu linéaire donc très peu convention­nelle. Nous faisons appel aux rêves, au subconscie­nt. Cela nous stimule et c’est au service de l’histoire que nous racontons. »

Évidemment, on ne peut pas ne pas songer à l’ombre tutélaire de

Nixon en Chine de John Adams. John T. Little pense s’être «totalement détaché d’une comparaiso­n avec une oeuvre en particulie­r». «Nous composons des opéras sous l’ombre tutélaire de tout ce qui précède. Nixon en

Chine fait partie d’une grosse ombre qui comprend Rigoletto et Tosca !»

Et Marilyn, dans tout ça ?

Choisir un angle de vue n’a pas été chose facile pour traiter le sujet JFK. «Dans une vidéo du discours de JFK lors du petit-déjeuner à Forth Worth, précédant l’assassinat, on remarque que le commentate­ur fait mention de l’assassinat du président McKinley en 1901 à Buffalo et qu’un choeur d’enfants chante The Eyes of Texas, dont les paroles résonnent de manière assez terrifiant­e a posteriori. En voyant cela, j’ai réalisé que ce qui m’intéressai­t, c’était un récit cosmique de quelque chose de fatal, qui devait arriver pour que le monde tourne une page. L’idée de destin nous a amenés à entrer dans l’univers des rêves», se souvient John T. Little, qui avoue qu’il «a été très difficile de trouver la bonne manière de raconter l’histoire ».

Son librettist­e Royce Vavrek renchérit: «J’ai travaillé avec mon dramaturge pour faire vivre théâtralem­ent les choses. La nuit avant son assassinat, Kennedy a dormi. Que pouvions-nous faire ? En faisant le récit linéaire des 12 heures avant le drame, ce n’était pas très dynamique. Donc nous avons creusé. »

Kennedy soignant des douleurs chroniques par des médicament­s puissants, l’effet léthargiqu­e «pouvait entraîner des rêves intéressan­ts». Vavrek est donc parti de cela pour lui «faire revivre des moments: sa rencontre avec Jackie, ses bras de fer avec Krouchtche­v, sa relation avec Lyndon Johnson, qui allait devenir président quelques heures plus tard, et celle avec sa soeur lobotomisé­e, Rosemary». «Cela nous a ouvert beaucoup de possibilit­és narratives », se réjouit-il.

S’ajoute à cet univers «un cadre exceptionn­el », puisque la suite présidenti­elle à Forth Worth était décorée comme une vraie salle de musée. « Il y avait des tableaux extraordin­aires, un Cocteau, un Renoir, qui ajoutent au caractère surréalist­e de l’atmosphère.»

Quand on lit la liste des protagonis­tes, on remarque l’absence d’une Marilyn Monroe dans le portrait onirique de JFK. Royce Vavrek se justifie aisément: «Nous en avons beaucoup débattu. Quelqu’un d’autre écrira un opéra sur cela, mais Marilyn ne cadrait pas du tout dans notre projet. Car le fond de notre histoire, c’est un rapprochem­ent entre JFK et Jackie, deux mois après la mort de leur fils Patrick. C’est ce qui brise le coeur du spectateur à la fin de l’opéra. »

Parmi les autres personnage­s importants écartés, «il manque surtout son père et son frère», aux yeux de Royce Vavrek. «Il y a beaucoup de choses intuitives dans les choix faits, car il y a des sujets pour vingt opéras. » D’autres les écriront peut-être.

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PHOTOS KAREN ALMOND Choisir un angle de vue n’a pas été chose facile pour traiter le sujet JFK. Les créateurs ont visionné entre autres une vidéo du discours de JFK lors du petitdéjeu­ner à Forth Worth, précédant l’assassinat.
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