Opéra de Montréal
L’Opéra de Montréal revisite la figure du président à coups de narcotiques et d’onirisme
La figure de JFK revisitée à coups de narcotiques et d’onirisme
Comment revisiter une figure telle que celle de John F. Kennedy, décortiquée sans discontinuité jusqu’à la monomanie, sans tomber dans le piège de la redite? Le compositeur américain David T. Little et le librettiste canadien Royce Vavrek ont choisi d’explorer les heures précédant son assassinat. Ils le font en plongeant dans des zones pour le moins turbulentes alors que, «sous l’égide des Parques, Kennedy et sa femme confrontent leur passé, leur présent et leur futur dans un monde onirique provoqué en partie par la prise de narcotiques ».
Avec l’opéra JFK, qui se déroule dans la suite présidentielle de l’hôtel Texas à Fort Worth, l’Opéra de Montréal nous revient avec une proposition artistique audacieuse et contemporaine. Fruit d’une collaboration entre l’Opéra de Montréal, le Fort Worth Opera et l’American Lyric Theater,
JFK a été créé à Forth Worth en avril 2016. À l’Opéra de Montréal, à partir du samedi 27 janvier, pour quatre représentations, cet ouvrage prend la suite logique de Dead Man Walking, Silent Night, Les feluettes et Another Brick in The Wall dans la promotion de l’art lyrique contemporain. Avec un surplus de surréalisme qui donne à cette production un caractère résolument moderne et hardi, voire totalement décomplexé.
Un compositeur venu du rock
Le Devoir a voulu en savoir davantage, à la fois auprès du compositeur David T. Little et auprès du librettiste Royce Vavrek, deux créateurs dans la trentaine, sur les motivations qui ont orienté leurs choix. Les pistes étaient en effet nombreuses pour traiter un tel sujet.
Le tandem Little-Vavrek, qui en est à sa troisième collaboration, s’était fait remarquer à New York avec Dog Days (2009), opéra sur la déchéance d’une famille en temps de crise économique. On y était frappé par le dispositif instrumental, chambriste, moderne, électronique et amplifié, à l’opposé du « grand opéra » qu’est JFK. «J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie en matière de musique amplifiée, nous dit David T. Little, notamment du rock.»
Dog Days a été inspiré par un groupe de musique de chambre amplifié. «J’y ai trouvé ma sonorité», confie Little. Une recherche sonore, qui gagne même son univers acoustique, à travers sa manière d’orchestrer.
S’attaquant à un opéra à grande échelle, David T. Little a changé de méthode. « J’ai beaucoup étudié Puccini et Verdi, et leur manière de composer pour la voix. C’est le grand changement par rapport à Dog Days : la technique de l’écriture vocale pour une échelle plus large. »
Le New York Times a écrit à propos de Dog Days que David T. Little «renversait les conventions musicales de l’opéra ». S’est-il vraiment assigné une telle tâche? «Quand j’ai commencé à
Le président soignant des douleurs chroniques par des médicaments puissants, l’effet léthargique « pouvait entraîner des rêves intéressants ».
composer de l’opéra, il y a 12 ans, je voulais écrire quelque chose que j’aurais envie d’écouter en tant que spectateur. Cela n’a pas changé. Mais c’est vrai que Royce Vavrek et moi souhaitons pousser l’opéra dans ses retranchements, faire évoluer la forme en présentant au spectateur un défi inattendu, différent dans chaque oeuvre. Dans Dog Days, c’était un véritable mur du son de 12 minutes à la fin de l’opéra. Dans JFK, c’est dans la manière de raconter l’histoire, très peu linéaire donc très peu conventionnelle. Nous faisons appel aux rêves, au subconscient. Cela nous stimule et c’est au service de l’histoire que nous racontons. »
Évidemment, on ne peut pas ne pas songer à l’ombre tutélaire de
Nixon en Chine de John Adams. John T. Little pense s’être «totalement détaché d’une comparaison avec une oeuvre en particulier». «Nous composons des opéras sous l’ombre tutélaire de tout ce qui précède. Nixon en
Chine fait partie d’une grosse ombre qui comprend Rigoletto et Tosca !»
Et Marilyn, dans tout ça ?
Choisir un angle de vue n’a pas été chose facile pour traiter le sujet JFK. «Dans une vidéo du discours de JFK lors du petit-déjeuner à Forth Worth, précédant l’assassinat, on remarque que le commentateur fait mention de l’assassinat du président McKinley en 1901 à Buffalo et qu’un choeur d’enfants chante The Eyes of Texas, dont les paroles résonnent de manière assez terrifiante a posteriori. En voyant cela, j’ai réalisé que ce qui m’intéressait, c’était un récit cosmique de quelque chose de fatal, qui devait arriver pour que le monde tourne une page. L’idée de destin nous a amenés à entrer dans l’univers des rêves», se souvient John T. Little, qui avoue qu’il «a été très difficile de trouver la bonne manière de raconter l’histoire ».
Son librettiste Royce Vavrek renchérit: «J’ai travaillé avec mon dramaturge pour faire vivre théâtralement les choses. La nuit avant son assassinat, Kennedy a dormi. Que pouvions-nous faire ? En faisant le récit linéaire des 12 heures avant le drame, ce n’était pas très dynamique. Donc nous avons creusé. »
Kennedy soignant des douleurs chroniques par des médicaments puissants, l’effet léthargique «pouvait entraîner des rêves intéressants». Vavrek est donc parti de cela pour lui «faire revivre des moments: sa rencontre avec Jackie, ses bras de fer avec Krouchtchev, sa relation avec Lyndon Johnson, qui allait devenir président quelques heures plus tard, et celle avec sa soeur lobotomisée, Rosemary». «Cela nous a ouvert beaucoup de possibilités narratives », se réjouit-il.
S’ajoute à cet univers «un cadre exceptionnel », puisque la suite présidentielle à Forth Worth était décorée comme une vraie salle de musée. « Il y avait des tableaux extraordinaires, un Cocteau, un Renoir, qui ajoutent au caractère surréaliste de l’atmosphère.»
Quand on lit la liste des protagonistes, on remarque l’absence d’une Marilyn Monroe dans le portrait onirique de JFK. Royce Vavrek se justifie aisément: «Nous en avons beaucoup débattu. Quelqu’un d’autre écrira un opéra sur cela, mais Marilyn ne cadrait pas du tout dans notre projet. Car le fond de notre histoire, c’est un rapprochement entre JFK et Jackie, deux mois après la mort de leur fils Patrick. C’est ce qui brise le coeur du spectateur à la fin de l’opéra. »
Parmi les autres personnages importants écartés, «il manque surtout son père et son frère», aux yeux de Royce Vavrek. «Il y a beaucoup de choses intuitives dans les choix faits, car il y a des sujets pour vingt opéras. » D’autres les écriront peut-être.