Le Devoir

Rituel pour icône contempora­ine

Mélanie Demers amène le sacré dans un lieu profane, banal et trivial

- Icône Pop À l’Agora de la danse, du 24 au 27 janvier. ENTREVUE MÉLANIE CARPENTIER COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Le fait de se dénuder est souvent encore vu comme quelque chose de dégradant. Pourtant, le rapport à la nudité peut être une forme de puissance, une façon de se révéler à soi-même et aux autres. MÉLANIE DEMERS

P assant d’une église en Italie à un stationnem­ent souterrain à Montréal, les espaces qu’investit Mélanie Demers avec Icône Pop sont pour le moins insolites. Dans ce court solo performati­f présenté dans le cadre de l’événement Résistance­s plurielles à l’Agora de la danse, la chorégraph­e se plaît à brouiller les frontières entre le sacré et le profane tout en proposant un portrait fragmenté et dépouillé des grands archétypes féminins.

Réponse à une commande pour un festival italien, Icône Pop est à l’origine une pièce in situ destinée à des lieux sacrés. Accompagné­e par la musicienne Mykalle Bielinski, Mélanie Demers a pris comme point de départ une version de Stabat Mater, thème religieux évoquant la douleur de la Vierge Marie ayant inspiré de nombreuses oeuvres musicales. «Plus que la douleur d’une mère, cette musique évoque pour moi la souffrance de toutes les femmes, affirme la chorégraph­e. Au-delà du destin classique d’être mère, il y a tout un éventail de possibilit­és quant à ce que c’est être femme.» C’est à cette multiplici­té, et non à un modèle unique de féminité, qu’elle désirait ouvrir ce thème. Se défaire des apparats «J’ai voulu faire un pont entre les archétypes de la Vierge Marie et de la

star de la pop en apparence libérée », explique-t-elle, observant comment les icônes de la pop telles que Beyoncé, Madonna ou encore Britney Spears jouent à détourner les images sacrées. En mêlant l’iconograph­ie religieuse aux postures des égéries populaires, Mélanie Demers se questionne sur la dichotomie tenace de la Madone et de la putain dans l’imaginaire collectif.

Dans les produits de la culture populaire, la représenta­tion du corps des femmes reste encore soumise à des carcans dominants. Quand elles sont en apparence maîtres de leur image et de leur sexualisat­ion, dans quelle mesure les femmes parviennen­t-elles à s’émanciper de certains formatages et de certains dogmes persistant­s? Et qu’en estil dans le domaine de la danse, où le corps jeune, mince et athlétique reste encore la grande norme ?

Dans sa performanc­e, Demers choisit la forme d’un « strip-tease modeste» et y assume un corps de danseuse peu entraîné. Elle y incarne différents archétypes féminins (Madone, déesse vaudou, Beyoncé), les fait cohabiter et les défait de leurs apparats. « Le fait de se dénuder est souvent encore vu comme quelque chose de dégradant. Pourtant, le rapport à la nudité peut être une forme de puissance, une façon de se révéler à soimême et aux autres», croit la chorégraph­e qui se plaît à naviguer dans des zones où le confort n’est pas assuré. « Peu à peu, on découvre les couches du personnage que j’incarne, qui se présente d’abord de manière très ostentatoi­re et s’oriente vers une grande forme de simplicité. » Imaginer un temple urbain Les églises et les chapelles aux alentours de l’Agora ayant refusé d’accueillir la pièce, l’idée d’investir l’espace d’un stationnem­ent souterrain s’est donc imposée: «C’est une pièce très low-fi qui est faite pour être en dialogue avec l’espace. J’ai voulu garder l’esprit de la première mouture de la pièce présentée en Italie dans l’église. On n’est pas du tout dans un espace protégé comme au théâtre, avec le quatrième mur et avec l’enrobage technique que sont les lumières. On cherche un lien vraiment plus direct et intime avec le public. »

Alors qu’en performant dans les églises, elle amenait le profane dans les espaces sacrés, c’est ici le cheminemen­t inverse qui l’intéresse. « Il n’y a rien de plus laid, de plus glauque et même morbide qu’un stationnem­ent souterrain, et en même temps, c’est un lieu de passage qui fascine et frappe l’imaginaire. Cette fois, il s’agit donc d’amener le sacré dans un lieu profane, banal et trivial», affirme Mélanie Demers qui conçoit Icône Pop comme une forme de rituel contempora­in, et imagine l’espace du stationnem­ent comme un temple urbain où se brouillent les frontières entre le sacré et le profane.

En parallèle à Icône Pop, les pièces Recurrent Measures de George Stamos et Instant Community de Peter Quanz (Montréal Danse) seront à découvrir. Toutes deux imaginent des dispositif­s permettant une plus grande proximité avec les danseurs et invitent le spectateur à une nouvelle forme d’engagement.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Mélanie Demers imagine l’espace du stationnem­ent, où se tiendra Icône Pop, comme un temple urbain où se brouillent les frontières entre le sacré et le profane.

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