Pour les blessés de la mémoire
Le peuple québécois semble avoir son histoire au travers de la gorge, comme un os de poulet qui refuserait de passer. Quelque chose d’irritant et d’omniprésent, mariant la honte des conquis à la fierté des résilients. Une histoire mal connue, alliée à une quête identitaire jamais liquidée.
Témoignent de cette obsession, vague après vague, notre littérature et notre cinématographie, faute d’un choix politique de fermeté.
Sur l’onde insaisissable de ce passé, navigue à vue et à boussole l’Hochelaga, terre des âmes de François Girard, d’une envergure inégalée, côté quête des racines.
Le film a atterri vendredi sur 34 de nos grands écrans, faible nombre compte tenu de ses ambitions et de son budget (plus de 15 millions de dollars). Il divise la critique et n’a pas été retenu pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, d’où sans doute cette prudente distribution qui desser vira ses visées.
Le voici avec son affaissement de terrain comme métaphore du trou de mémoire collectif, où des archéologues puiseront les souvenirs engloutis. On peut prendre Hochelaga, terre
des âmes par un bout comme par l’autre, le trouver trop lourd, juger ses dialogues en vieux français en panne de naturel, comme on peut sentir son souffle épique passer. Ou tout à la fois.
Personnellement, l’ampleur de sa démarche, avec des segments fantasmés, m’a inspirée. Son souci de réconciliation aussi. Avec ce côté catharsis pour les blessés de la mémoire sur les rives du Saint-Laurent, plusieurs belles images, les incantations du chaman et les rêves d’un patriote (Sébastien Ricard) pourtant traqué. Sans vrai point de vue, soit, mais avec la générosité et l’amplitude en partage.
On manque de productions historiques au Québec, et celles qui gagnent l’écran, de Robe noire à Nou
velle-France, ont tendance à piquer du nez, ratées ou pas. Un genre souvent maudit, comme le « yable » hantant le film La chasse-galerie.
Colmater des brèches
Conçu dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal, Hochelaga, terre
des âmes aura été le principal legs historique de célébrations qui mirent bien peu l’accent sur le passé.
Tant de Québécois cherchent pourtant à retrouver leur socle. Or ce film en six langues, dont l’algonquin et le mohawk, qui embrasse à Montréal plusieurs siècles, de 1267 à aujourd’hui, avec ses failles et ses beautés, possède l’immense mérite de sa fouille et de sa fresque éclatée.
Tout un défi que celui d’inclure à la fois l’héritage des Premières Nations, celui des francophones depuis Jacques Cartier et celui des anglophones depuis la Conquête, sans acrimonie de ton. Loin des clivages habituels, éclairant les métissages, courants en Nouvelle-France, il y en a pour tout le monde dans ce buffet.
Qui trop embrasse mal étreint, peuton rétorquer en prenant appui sur le proverbe. Mais on a besoin aussi de cette vision panoramique, quitte à y superposer d’autres éclairages. L’école a longtemps mal joué son rôle de passeur chez nous. Aussi les créateurs doivent compenser. D’autres cinéastes gagneraient à suivre les traces de celui du Violon rouge, tirant de nouveaux fils sur la catalogne trouée.
L’histoire de ce territoire, utilisée trop souvent comme arme politique par un camp ou l’autre, mérite d’être arpentée en tous sens pour parvenir un jour à débloquer et à trouver son chemin dans la mémoire collective.
Depuis le temps qu’elle hante et colore le présent, avec son mal-être, ses débrouillardises, ses accommodements, sa religiosité, ses défaites, ses sursauts, on la voit pointer son nez partout, cette blessure de fierté. L’an dernier, les grognements de La Meute témoignaient de l’impression éternelle qu’ont les Québécois dits de souche d’être floués, cette fois par les immigrés ou même par les Premières Nations. Des communautés ces temps-ci accompagnées, pour réparer un tant soit peu les horreurs du passé ou par souci d’ouverture.
Sauf que, parallèlement, l’héritage de souche francophone a peu la cote dans le discours public et auprès des organismes culturels des trois ordres de gouvernement. Ces derniers multiplient les programmes destinés aux nouveaux arrivants et aux autochtones, sans se préoccuper de la culture immatérielle d’ascendance française.
Ce serait pourtant tout simple d’ouvrir également la porte à la tradition orale de la fameuse souche, dans les régions et dans les villes, à travers des projets de diverses disciplines artistiques explorant le champ du patrimoine.
Le film de François Bouvier sur la Bolduc, avec Debbie Lynch-White, attendu au printemps, colmatera des brèches plus récentes de la mémoire collective. Mais le grand-angle d’Hochelaga, terre des âmes nous invite à nous aventurer par-delà les destins individuels dans cette quête identitaire si douloureuse.
«Car c’est bien de la fragilité d’un peuple, d’une nation, qu’il s’agit et, s’il est une chose qui est difficile à regarder, c’est bien la fragilité», écrit Yvan Lamonde dans son essai Un
coin dans la mémoire, sur les sources du mécontentement québécois.