Modérément Haneke
Happy End s’avère une offrande mineure pour un cinéaste d’exception
D’emblée, le cinéphile rompu à l’univers clinique de Michael Haneke tiendra pour acquis que le titre
Happy End se veut ironique. En effet, le cinéaste deux fois lauréat de la Palme d’or cannoise n’est pas friand des dénouements heureux. Pourtant, les deux personnages principaux obtenant ce qu’ils désirent à la fin, c’est ce qu’il offre ici. De manière typiquement tordue, s’entend.
En surface, le film affiche toutes les caractéristiques techniques inhérentes au cinéma de Haneke: longs plans d’ensemble en apparence anodins à l’intérieur desquels quelque chose de fondamental se trame néanmoins, jeux entre sources d’images (téléphone, télévision…) et points de vue (objectif, subjectif), séquences où les paroles des personnages sont étouffées par le bruit ambiant, etc.
Autant d’éléments constitutifs des énigmes cinématographiques que se plaît à soumettre le réalisateur de
Caché aux cinéphiles. À ce propos, Happy End, qui n’a pas fait de vagues à Cannes, ce qui est en soi un événement, s’avère moins cryptique. Ce n’est pas une bonne nouvelle.
Implosion familiale
On y observe l’implosion d’une riche famille industrielle française (microcosme d’une certaine France) alors que l’entreprise de construction, dont le patriarche (Jean-Louis Trintignant) a confié les destinées à sa fille (Isabelle Huppert), qui vient en retour d’en céder la direction à son fils (Franz Rogowski), connaît des difficultés.
Une situation qui fait écho à celle vécue par le clan lui-même, rongé de l’intérieur comme naguère ces familles royales rattrapées par la consanguinité. Ainsi découvre-t-on une galerie de monstres diversement sociopathes, de l’arrière-petite-fille qui envoie sa mère à l’hôpital dès le prologue au papi gâteux, en passant par le père de la première auquel elle déclarera savoir qu’il «n’aime personne»: ni sa femme, ni sa maîtresse, ni elle, sa propre fille.
On mentionne cette scène car, aussi troublante soit-elle — et «troubler» en utilisant des enfants et des adolescents est un procédé de manipulation cher à Haneke (Benny’s Video, Funny Games, Le ruban blanc) —, elle constitue le symptôme le plus patent de ce qui cloche dans ce récent opus.
Une note discordante
S’il est une manie fâcheuse du cinéma contemporain à laquelle Haneke n’a jamais souscrit, c’est celle de prendre le spectateur par la main. Ladite scène, justement, explicite ce qui a été jusque-là évoqué. Elle survient vers le début du troisième acte, après qu’on a eu tout loisir d’observer et de décoder cette famille de nantis dénuée d’empathie, tenants du «un pour cent» servis par des domestiques maghrébins, avec en toile de fond un Calais où la crise migratoire est d’autant plus criante qu’elle n’est jamais nommée.
C’est une note discordante qui sort
Les membres de cette dynastie s’imposent, en définitive, comme des figures plus abstraites que complexes. Le cinéaste s’attarde surtout à l’arrièregrand-père et à l’arrièrepetite-fille, elle tendance homicide, lui en mal d’en finir. Ils sont faits pour s’entendre.
le spectateur du film et lui rappelle qu’il assiste à une démonstration. Or on avait compris, parce que Haneke a été, comme il l’est toujours, habile dans ce qu’il a choisi de montrer et de dissimuler, de dire et de taire.
Ce faux pas étonne. À l’instar de ce désintérêt pour deux des personnages les plus intrigants : Jamila, la cuisinière animée par une détresse larvée, et son époux Rachid, qui semble, lui, avoir intériorisé un sens du devoir confinant à la servilité. Hélas, le cinéaste n’a que peu de temps à leur accorder, préférant rester du côté d’une bourgeoisie pas spécialement fascinante. Improbable empathie Les membres de cette dynastie s’imposent, en définitive, comme des figures plus abstraites que complexes (on s’ennuie de La pianiste devant la partition inaboutie d’Huppert). Haneke s’attarde surtout à l’arrière-grand-père et à l’arrière-petite-fille, elle tendance homicide, lui en mal d’en finir. Ils sont faits pour s’entendre. Deux passages, en particulier, visent d’ailleurs à les humaniser: lorsque l’enfant a des larmes de remords et lorsque l’aïeul se confie à elle au sujet de feu son épouse (une filiation avec Amour du même Haneke, avec le même Trintignant, se dessine alors).
En vain, puisque dans les deux cas on sent la nécessité dramatique plutôt que la cohérence psychologique. En tentant, si brièvement soit-il, de faire naître de l’empathie envers ceux qui n’en éprouvent pas, le cinéaste ne parvient qu’à susciter l’indifférence. Là réside la véritable ironie de Happy End.
Mais peut-être était-ce le but: prouver au public qu’il n’a pas plus de coeur que les personnages? Quoique ce serait un brin tordu. Même pour Haneke.
Happy End
Drame de Michael Haneke. Avec Fantine Harduin, Isabelle Huppert, Jean-Louis Trintignant, Mathieu Kassovitz, Franz Rogowski, Toby Jones. France, Autriche, 2017, 108 minutes.