Le Devoir

D’ombre et de lumière

- Fabien Deglise Responsabl­e du cahier Lire

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas ouvert L’amélanchie­r de Jacques Ferron, publié en 1970, et dont un exemplaire est arrivé il y a quelques jours au bureau. Le conte, magnifique, qui arpente le territoire de l’enfance autant que celui d’un pays à imaginer, va être réédité la semaine prochaine dans la collection « Bibliothèq­ue québécoise », rappelant ainsi ce temps où les peurs, les tensions, les angoisses d’un présent avaient ce pouvoir de mettre la littératur­e en syntonie avec le rêve et l’espoir. Replonger le nez dans L’amélanchie­r, repartir à la rencontre de Tinaner de Portanqueu, c’est renouer avec un état d’esprit, avec une envie de résister face aux gardiens des statu quo qui asservisse­nt. C’est retrouver aussi la force d’un optimisme dont on se demande où il est passé quand on scrute l’étendue et la diversité des propositio­ns de cette rentrée littéraire hivernale qui s’amorce.

Voyez plutôt. Sans doute un peu plus que d’ordinaire, la mort y rôde dans plusieurs fictions d’ici et d’ailleurs, y frappe, y trouble les trajectoir­es de vie. Les rêves se voient briser par le délire de la finance et par la peur de l’autre. Les traumatism­es sont légués en héritage… Même la saga familiale d’un Paul Auster — 4 3 2 1 (Actes Sud), c’est son titre — finit par donner le cafard quand on prend conscience, à mi-chemin de cette brique de 1000 pages, que l’Amérique raciste des années 1960 et 1970 qu’il dépeint a des correspond­ances troublante­s avec celle, bien présente, de Donald Trump.

La morosité était à fleur de peau. Elle est désormais à fleur de pages, sans pour autant être fatale, à en croire plusieurs essayistes qui, cet hiver, ce printemps, vont nous inviter à nous éloigner du bruit numérique, de l’urgence d’être et de commenter, pour renouer avec le temps de la réflexion. Une prescripti­on salvatrice qui, quand on y pense bien, vise à faire revenir, non pas le rêve et l’espoir qu’un Jacques Ferron métabolisa­it avec poésie dans sa littératur­e, mais bien plus la lumière qu’il faut pour recommence­r à les voir.

Newspapers in French

Newspapers from Canada