Cet obscur désir féminin
Dans son solo Chaloupe, Sylvianne Rivest-Beauséjour traite d’appartenance identitaire à travers une sexualité explicite
E
n présentant sa saison au Devoir en août dernier, le directeur artistique de La Licorne, Denis Bernard, avait qualifié Chaloupe de rien de moins que «sulfureux». Dans sa première pièce, Sylvianne Rivest-Beauséjour explore crûment le désir féminin, d’une manière qu’elle veut positive, ludique, mais pas fleur bleue. Or, même si les auteures sont désormais plus nombreuses à exposer une parole explicite, la comédienne estime que l’expression de la sexualité féminine pose toujours problème.
On a beau en consommer, parler «réellement» de sexualité, tous genres confondus, est déjà difficile dans notre société, constate-t-elle. «La femme-objet, on y est habitués. Mais dès qu’une femme exprime sa sexualité, souvent on présente ça sous l’angle d’une problématique, plutôt que comme quelque chose d’épanouissant. Et souvent on le ramène à la victimisation de la femme. Pourquoi ne peut-on pas juste exprimer un désir?» Sans être nécessairement dans les revendications.
Pour elle, cette lacune n’est pas anodine. L’entrevue a eu lieu dans la foulée de la controverse entourant la réaction de 100 Françaises au mouvement #MeToo. Un affrontement entre «deux clans féministes, qui veulent chacun que la femme soit libre et forte», juge-t-elle, mais qui le portent d’une manière différente. «Au lieu de travailler ensemble à construire quelque chose, il y a altercation. Alors que, si on travaillait davantage à exprimer notre désir en tant que femme, et à accueillir le désir des femmes, je pense que beaucoup de problèmes s’effaceraient d’eux-mêmes.»
On a aussi du mal à dissocier ce désir de la quête amoureuse. Sylvianne Rivest-Beauséjour regrette que, dans le discours sur la sexualité féminine, «on occulte complètement le rapport plus pulsionnel». C’est cette pulsion, dans ce qu’elle a de beau et de touchant, qu’elle veut dépeindre dans Chaloupe. «Il y a des actes sexuels qu’on associe souvent à la pornographie parce qu’ils sont moins romancés. Mais dans la vie, ces actes sont nourris d’émotions — ce qui ne signifie pas nécessairement de l’amour —, ce n’est pas juste quelque chose de froid et vide. »
Et dans son monologue, «c’est la sexualité qui déclenche les autres questionnements». Le sexe devient un révélateur de la quête identitaire de la protagoniste. Exilée à Berlin, celle-ci vogue entre deux hommes comme entre deux patries. «J’avais envie de parler de ma génération, que je sens beaucoup dans l’errance. Pour moi, c’est à la fois positif et négatif. Il y a une réelle mixité culturelle partout.» Que veut dire désormais l’appartenance, «concrètement, philosophiquement», lorsqu’on peut vivre n’importe où? interroge-t-elle. «Et pourquoi fautil absolument appartenir à un lieu?»
Ménage à trois linguistique
Elle-même était dans la capitale allemande durant l’écriture de Chaloupe. Une ville où elle se sent bien. Pour de multiples raisons, dont l’importance qu’y revêt l’art. «Là-bas, il n’est pas un produit de consommation. »
Et c’est parce que sa langue, sa culture lui manquait qu’elle s’est mise à écrire à haute voix. La musicalité qui en a résulté l’a incitée à intégrer des passages en anglais et en allemand à son texte québécois. Ce ménage à trois linguistique traduit l’expatriation de la narratrice et toute la difficulté d’entrer en contact avec les autres. «Il y a aussi comment une langue qu’on ne maîtrise pas peut devenir poétique. Et un outil de communication beaucoup plus direct.» D’où le langage «actif» de la pièce. «L’action est à travers les mots. Un peu se- lon le même principe que le slam.»
Incluant en parallèle une baladodiffusion, de courtes vidéos et des livres-objets, Chaloupe déploie un projet multidisciplinaire plus vaste sur l’intimité. L’auteure souhaitait jeter des ponts entre des créateurs de cultures et de disciplines différentes. Et retrouver cette qualité de collaboration, d’entraide, qu’elle admire chez ses amis de l’Allemagne de l’Est, les « restants du communisme »…
Le vertige de l’intimité
Sylvianne Rivest-Beauséjour, qui a fait des recherches, constate «qu’au théâtre, il n’existe pas de texte vraiment érotisant». «Faire entrer dans un rapport intime toute une salle ensemble, c’est sûr que c’est vertigineux», admetelle. Et ça engage la question de qui est réellement regardé. «Le spectateur a conscience qu’il y a des gens autour de lui, même s’il n’est pas sur scène. C’est intéressant de jouer avec cette limite.» Mais l’auteure et son metteur en scène, Steve Gagnon, le font «avec finesse plutôt que de façon racoleuse. On n’est pas dans la démonstration».
La peur est ailleurs pour l’actrice, qui vit son premier monologue. « Quand j’ai écrit le texte, ce n’était pas du tout mon intention de le jouer! (rires)» C’est Denis Bernard qui le lui a proposé. « Je suis très pudique, gênée. De porter seule ce morceau du début à la fin, c’est déjà un immense défi. Pour moi, ça, c’est très impudique, bien plus que de parler de sexualité. »