Le Devoir

Cure de jouvence pour saucisses et viandes hachées.

Un nouveau procédé permet de prolonger la durée de vie de plusieurs aliments

- ISABELLE PARÉ

Un nouveau procédé permet de prolonger la durée de vie de plusieurs aliments.

Et si les saucisses fraîches pouvaient se garder jusqu’à 100 jours, les délicats fromages cottage ou ricotta tenir le coup jusqu’à un an, et la viande hachée se préserver jusqu’à 30 jours sans perdre un iota de sa fraîcheur? La gestion de bien des réfrigérat­eurs abonnés aux aliments flétris et condamnés à la poubelle s’en trouverait sûrement bouleversé­e.

C’est le pari que font les promoteurs d’une nouvelle technologi­e récemment testée au Québec qui permet de prolonger, voire tripler la durée de vie de plusieurs aliments frais, cuits ou transformé­s. Mis au point au Centre de développem­ent bioaliment­aire du Québec (CDBQ) de Rimouski, et soutenu par RECYC-QUÉBEC dans le cadre du Projet 9 destiné à contrer le gaspillage alimentair­e, ce processus de conservati­on par très haute pression hydrostati­que fait lentement son entrée sur les tablettes de plusieurs épiceries.

Une redécouver­te

Le procédé approuvé par Santé Canada en 2016 consiste à éliminer les bactéries présentes dans les aliments grâce à la mise sous forte pression de produits scellés dans des emballages souples, plongés sous l’eau pendant quelques minutes. L’effet de la pression hydrostati­que sur les bactéries a été découvert au Japon à la fin du XIXe siècle, mais ce n’est qu’au tournant des années 1990 que cette technologi­e a fait son entrée dans l’industrie alimentair­e. Les procédés actuels reproduise­nt en usine une pression équivalant à 6000 fois celle rencontrée dans les abysses les plus profonds des océans.

«Le but ultime, c’est de fragiliser les cellules des bactéries qui finissent par se développer au fil du temps et corrompre les aliments», soutient Stéphane Carrier, directeur général de l’entreprise Natur-l-XTD, la seule au Québec à détenir ces équipement­s onéreux pour traiter ainsi les aliments.

Des tests réalisés au Centre de développem­ent bioaliment­aire du Québec ont permis de constater qu’une fois soumis à ce procédé, les viandes cuites, tout comme les jambons tranchés, la pancetta et le salami, pouvaient se conserver jusqu’à 120 jours sans perdre de leur qualité nutritive, de leur goût ou de leur texture.

Des fromages frais, comme la ricotta ou le fromage cottage, une fois bien scellés, pourraient quant à eux demeurer comestible­s jusqu’à près d’un an. «Les jus frais non pasteurisé­s, qui ont normalemen­t des durées de vie de trois ou quatre jours, peuvent maintenant se conserver jusqu’à 45 à 60 jours», affirme le directeur de l’usine située à Saint-Hyacinthe, qui a déjà conclu des ententes avec plusieurs joueurs importants de l’industrie alimentair­e. Un important producteur de jus frais basé à Toronto a même récemment déménagé ses pénates dans la ville maskoutain­e pour profiter pleinement de cette nouvelle technologi­e qui permettra de faciliter la distributi­on de ses produits au Canada.

Une cure de jouvence

Plusieurs entreprise­s et fabricants espèrent ainsi prolonger la vie de leurs produits sur les tablettes, changer leurs modes de production et limiter leurs pertes. Selon le CDBQ, dans le seul secteur des viandes cuites, environ 7 à 8% des produits offerts sur les tablettes sont perdus en magasin. L’organisme RECYC-QUÉBEC, qui a investi 400 000$ dans le développem­ent de ce procédé, y voit quant à lui l’occasion de lutter contre le gaspillage alimentair­e, qui entraîne la perte de 40% de la totalité des aliments produits au Canada, à un moment où à un autre de leur cheminemen­t jusqu’à l’assiette du consommate­ur.

«Le développem­ent de ce type de technologi­es permet de réduire les rejets de viandes fraîches en épicerie et chez les consommate­urs», affirme Sophie Langlois-Blouin, vice-présidente à la performanc­e des opérations chez RECYC-QUÉBEC. Le CDBQ a reçu le mandat de soutenir et d’informer les entreprise­s qui souhaitent adopter ce procédé novateur, mais aussi d’optimiser le poids des portions de viandes fraîches à emballer pour éviter au maximum le gaspillage alimentair­e. Un logo, marqué d’une goutte d’eau bleue, permet aux consommate­urs de reconnaîtr­e les produits qui ont bénéficié de cette cure de jouvence signée HPP (pour hydroprocé­dé de protection)

Plus que les viandes

Si le procédé a d’abord été utilisé pour conserver les viandes cuites, dont les pertes sont plus onéreuses, il se prête à de nombreux autres produits frais, notamment les viandes et poissons crus, les pâtes à pain et à pizza fraîches, ainsi que certains fruits et légumes qui évitent ainsi l’oxydation. «L’élan est aux produits frais, notamment aux purées de houmous, d’avocats, mais ce sont des produits qui s’oxydent rapidement», affirme M. Carrier.

Si on a vu récemment se multiplier sur les rayons les sachets de guacamoles et de salsas fraîches, c’est notamment grâce à l’usage de ce procédé par de grands producteur­s américains qui se sont installés à proximité des usines de traitement par HPP, situées dans le sud du pays.

Certains fruits et légumes, notamment les légumes racines, pourraient jouir de ce traitement, mais pas les légumes feuillus ou délicats, trop fragiles pour supporter la pression exercée lors de ce procédé. Plusieurs producteur­s locaux pourraient profiter de cette nouvelle façon de faire, qui permet d’allonger la durée de vie de leurs produits et de mieux répartir leur production dans l’année.

«Nos clients sont surtout des compagnies de transforma­tion alimentair­e du Québec, mais aussi de l’Ontario. Nous recevons un à deux camions par semaine remplis de produits provenant de Gaspésie et des îles de la Madeleine, prêts à remplir les rayons des épiceries. Avec ce procédé, ces producteur­s peuvent élargir leurs marchés», soutient Stéphane Carrier.

Un des avantages collatérau­x de cette technologi­e consiste aussi à éliminer les risques associés aux pathogènes dangereux, qui sont à la source de fréquents rappels de produits alimentair­es, notamment dans le secteur des viandes, sans avoir recours à la stérilisat­ion ni à l’ajout d’agents de conservati­on artificiel­s.

Obstacle psychologi­que

Reste que ces durées de vie interminab­les affichées sur certains produits pourraient être drôlement accueillie­s par les consommate­urs. Ceux-ci feront-ils confiance à des saucisses restées sur les tablettes pendant 100 jours ou à du boeuf haché jugé propre à la consommati­on après un mois? Psychologi­quement, la longévité n’est pas toujours synonyme de fraîcheur pour le commun des mortels. Pour cette raison, plusieurs fabricants préfèrent pour l’instant ne pas indiquer que leurs produits sont promis à une longue conservati­on, même si c’est le cas. Pour des motifs purement commerciau­x, on préfère attendre que l’idée de ces aliments à longue conservati­on fasse son chemin dans l’esprit des clients.

Nutritifs?

Selon la nutritionn­iste Catherine Lefebvre, les aliments ainsi dotés de dates de péremption lointaines s’avèrent intéressan­ts puisque la pression, contrairem­ent à la chaleur ou à la stérilisat­ion, n’altère pas le contenu nutritionn­el des aliments. «Si en plus, ça peut faire en sorte de réduire l’ajout d’additifs et d’agents de conser vation dans certains aliments, ce serait positif. Car tous les aliments destinés au prêt-à-manger en sont bondés ! » lance-t-elle.

Elle s’inquiète toutefois du recours accru aux emballages plastiques que pourrait entraîner l’adoption à large échelle de ce processus de conservati­on. «Ce ne serait pas génial sur le plan environnem­ental de tenter de régler un problème, dit-elle, en en créant un autre.» Enfin, la lutte contre le gaspillage alimentair­e ne passe pas que par l’achat de produits spécifique­s, croit Catherine Lefebvre, mais par l’adoption de toute une série de gestes et de nouvelles habitudes de gestion du réfrigérat­eur de tout un chacun.

 ?? JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE ?? Les consommate­urs feront-ils confiance à du boeuf haché jugé propre à la consommati­on après un mois? Psychologi­quement, la longévité n’est pas toujours synonyme de fraîcheur pour le commun des mortels.
JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Les consommate­urs feront-ils confiance à du boeuf haché jugé propre à la consommati­on après un mois? Psychologi­quement, la longévité n’est pas toujours synonyme de fraîcheur pour le commun des mortels.
 ?? NATUR-L-XTD ?? C’est cette machine qui réalise le processus de conservati­on par très haute pression hydrostati­que à Saint-Hyacinthe.
NATUR-L-XTD C’est cette machine qui réalise le processus de conservati­on par très haute pression hydrostati­que à Saint-Hyacinthe.

Newspapers in French

Newspapers from Canada