Le Devoir

Trudeau devant un général sans arme

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Le printemps dernier, Justin Trudeau n’avait pas attendu de lire la Politique d’affirmatio­n du Québec présentée par Philippe Couillard pour rejeter laconiquem­ent tout changement à la Constituti­on. Lors d’une assemblée publique jeudi à Québec, le premier ministre canadien a fait part de certaines des raisons qui justifiaie­nt son refus. Il a ainsi exposé les faiblesses de la démarche de son homologue québécois.

Dans cet exercice qui tient autant du débat politique que des relations publiques, Justin Trudeau, en bras de chemise, excelle. Ils étaient quelque 900 personnes à participer à cette assemblée, où le premier ministre s’est prêté au jeu des questions et réponses. Et une de ces questions portait sur la possibilit­é d’ouvrir la Constituti­on canadienne pour réparer les torts causés au Québec par la modificati­on constituti­onnelle de 1982. Justin Trudeau a expliqué que toute négociatio­n constituti­onnelle est à repousser, sauf si «tout est à la veille de briser» dans la fédération. Et si c’est sans «but précis et urgent», si ce n’est «qu’à des fins politiques», pour le «symbolisme», le premier ministre «préfère ne pas embarquer», a-t-il dit.

Dans sa démarche velléitair­e de voir le Québec signer la Constituti­on, Philippe Couillard s’en est tenu passivemen­t à réclamer les cinq conditions de l’accord du lac Meech. En un certain sens, Trudeau n’a pas tort de dire qu’inscrire ces conditions dans la Constituti­on revêt un caractère symbolique. Le Québec, par exemple, a obtenu des pouvoirs accrus en matière d’immigratio­n grâce à des ententes administra­tives. Le fédéral n’a pas abandonné son pouvoir de dépenser dans des champs de compétence du Québec, mais il a considérab­lement tempéré ses ardeurs et il accepte souvent de respecter les priorités québécoise­s. À l’époque de Meech, c’était un des arguments de Brian Mulroney pour convaincre le Canada anglais que l’accord, de nature essentiell­ement symbolique, ne changeait rien à la réalité. Robert Bourassa prétendait le contraire, lui qui, à partir de ce minimum, voulait aller plus loin. Voilà un bel exemple de ces ententes équivoques qui, pour être acceptable­s, doivent signifier deux choses différente­s au Québec et dans le ROC.

Or, pour que la reconnaiss­ance du Québec en tant que nation ne soit pas que symbolique, des changement­s profonds devraient être apportés à cette confédérat­ion qui n’en est pas une et dont la structure repose sur un calque du cadre colonial. C’est ce que Claude Ryan avait proposé quand il était chef du Parti libéral. C’est ce que Philippe Couillard se refuse à faire, cherchant plutôt le moyen de rendre les Québécois plus canadiens et se félicitant de tout progrès en ce sens.

Justin Trudeau n’envisagera­it d’accéder aux timides demandes symbolique­s de son homologue québécois que si le Canada était sur le point d’éclater, c’est-à-dire si le mouvement indépendan­tiste représenta­it une menace réelle et qu’un référendum se présentait à l’horizon. Là encore, Philippe Couillard, qui se tire dans le pied, ne cesse de se réjouir de la tiédeur des Québécois à l’égard de la souveraine­té, reprenant, dans des termes fleuris, la thèse du «plus meilleur pays au monde» de Jean Chrétien.

Dans ce contexte, on ne peut s’étonner que la démarche d’affirmatio­n du premier ministre québécois ait été reçue avec une bienveilla­nte indifféren­ce au Canada anglais, d’autant que Philippe Couillard l’assure qu’il n’y a absolument rien à craindre de ce «peuple heureux» que sont les Québécois. On ne peut s’attendre à de grandes avancées avec un général sans arme, sans rapport de force et sans véritable cause.

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ROBERT DUTRISAC

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