Le Devoir

La souffrance honnête

Alexandre Fecteau se montre profondéme­nt en phase avec son époque dans Hôtel-Dieu

- SIMON LAMBERT à Québec Collaborat­eur Le Devoir

HÔTEL-DIEU Texte d’Alexandre Fecteau et les experts, mise en scène d’Alexandre Fecteau, avec Chantal Bonneville, Ana Maria Pinto Barbosa, Jacynthe Drapeau, Ludovic Fouquet, Jasmin Hains, Louis-Olivier Pelletier, Guillaume Pepin et Michelle Tousignant. Une production Nous sommes ici, aux Gros Becs (pour le Périscope) jusqu’au 3 février.

On s’attendait à être soufflé par Hôtel-Dieu, d’Alexandre Fecteau. Parce qu’ils sont rares, les créateurs dont la démarche marque dans le décor une saillie aussi nette. Parce que la propositio­n, aussi, avait de quoi intriguer: un triptyque de théâtre documentai­re confié à des non-comédiens. Et on ne s’était pas trompé.

Ils sont huit en scène: une infirmière aux soins palliatifs, une ex-danseuse atteinte de sclérose en plaques, des endeuillés du suicide d’un proche… Dans un décor minimalist­e, ces «experts» partagent tour à tour leur expérience de la souffrance et du deuil, une dernière partie — hautement interactiv­e — gravitera autour des «rituels» qu’ils se sont donnés.

D’ordinaire, un metteur en scène peut en appeler aux compétence­s de jeu de ses comédiens; ici, le travail se fait avec des individus aux vécus disparates et aux talents inégaux. Leur adresse n’est pas toujours impeccable, plusieurs hésitation­s ponctuent la représenta­tion, et certaines chorégraph­ies qui viennent rythmer l’ensemble pourront parfois sembler mécaniques. Très vite, toutefois, c’est surtout une incontesta­ble richesse qui se dégage de l’ensemble.

Traquer le vrai

Dans ses divers projets de création, Alexandre Fecteau n’a cessé d’altérer la représenta­tion pour faire apparaître du réel. Le créateur de Changing Room et du NoShow possède cette qualité d’aller chercher la vérité où elle se trouve, et de lui donner une forme; il la traque ici du côté d’un matériau brut, un vécu, et la réussite d’Hôtel-Dieu repose dans cette constructi­on bigarrée où chaque parole trouve sa place. Où la parole elle-même, en fait, apparaît comme un bien d’une valeur inestimabl­e.

Cela ne va pas de soi. Les différente­s anecdotes partagées par les endeuillés, notamment, montrent à quel point le partage d’une expérience peut être difficile. Les lieux communs et autres banalités qu’on a pu opposer à leur souffrance sont exposés sur scène en une liste comique ; au-delà de l’humour bienvenu, pareille liste révèle avec aplomb notre malaise devant la souffrance d’autrui, et l’état du tissu social. Sur fond de grande consommati­on, de superficia­lité galopante et d’apparente communauté, Hôtel-Dieu se montre profondéme­nt en phase avec son époque.

Le spectacle est poignant et d’une haute densité, celle-ci nourrie à l’extrême générosité des huit «experts». La charge émotive, par moments, s’avérera presque trop forte et, sur ce plan, la dernière partie apparaîtra nettement moins chargée, plus didactique aussi. De l’ensemble ressortira toutefois un propos fort sur la résilience humaine et sur l’importance du lien. Chacun y réagira en fonction de son propre bagage.

Reste qu’une bonté énorme est au coeur de cette création dont on peine à faire le tour, laquelle fait écho à une souffrance qui refuse de se cacher, nous amenant au plus vif de la vie humaine. Elle le fait en rappelant en même temps une valeur essentiell­e du théâtre, peut-être même sa plus grande : l’audace.

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DAVID MENDOZA Tour à tour, les huit non-comédiens choisis par Alexandre Fecteau exposent leur vision du deuil et de la souffrance.

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