Le Québec se prépare au pire
La communauté d’affaires nord-américaine dresse un bilan positif de l’accord, mais le Québec se prépare quand même au pire
La communauté d’affaires nord-américaine ne veut rien savoir, pour le moment, de la possibilité de l’échec de la renégociation de l’ALENA, mais Québec s’y prépare quand même.
«On n’est pas encore dans les plans B», a assuré lundi en conférence de presse le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, qui était l’hôte d’une réunion des représentants de 25 chambres de commerce du Canada, des États-Unis et du Mexique, dont le thème était l’avenir de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Réunis en marge du début du sixième cycle de renégociation de l’ALENA, qui doit se tenir à Montréal jusqu’à lundi, les représentants des dix plus grandes communautés d’affaires au Canada, d’une dizaine de grandes villes américaines et de presque autant de capitales économiques mexicaines ont signé une déclaration commune dressant un bilan plus que positif de l’accord de libre-échange unissant leurs trois pays depuis presque 25 ans et exhortant leurs gouvernements respectifs à le maintenir et à l’adapter aux nouveaux besoins économiques.
«Je ne crois pas qu’il soit trop tard pour arriver à une entente. Il me semble même qu’au contraire, le débat est en train de se faire de plus en plus raisonnable », a déclaré le président et chef de la direction de la Chambre de commerce de San Antonio, au Texas, Richard Perez. Rappelant que le président américain Trump avait promis de déchirer l’ALENA aussitôt qu’il serait arrivé au pouvoir, il note que le moment fatidique s’éloigne au fur et à mesure que ses défenseurs prennent la parole et mettent en lumière la réalité des faits. «Le temps n’est pas notre ennemi, dans ce cas-ci. Il est notre allié.»
Une entente possible
La ministre québécoise de l’Économie, de la Science et de l’Innovation, Dominique Anglade, dit partager cet optimisme. «Je crois encore qu’une entente gagnante pour tous est possible », a-t-elle déclaré lors d’un entretien téléphonique au Devoir, lundi, en chemin vers l’avion devant l’amener au Forum économique mondial de Davos, en Suisse.
Et même si le président Trump déclarait le retrait de son pays de l’ALENA, il faudrait «des mois et même des années» avant que le divorce puisse être prononcé.
S’inspirant, dans ce dossier, du gouvernement fédéral qui répète sans cesse «espérer le mieux, mais se préparer au pire», elle estime cependant qu’il est de son devoir de penser aux secteurs de l’économie québécoise les plus menacés en cas d’échec des négociations et de sortie des États-Unis de l’ALENA.
Elle a été heureusement surprise par les conclusions d’une étude de son ministère qui montre que, des 200 produits les plus exportés par le Québec, la moitié resterait en franchise de droit et que 80% feraient face à des tarifs commerciaux de 5% ou moins. En fait, seulement 5 des 200 produits en question seraient frappés par des tarifs de 10% ou plus, notamment du côté des camions à moteur diesel, des confiseries à base de chocolat et du textile.
Si les choses devaient mal tourner avec l’ALENA, le gouvernement du Québec viendrait en aide à ces secteurs comme il le fait actuellement pour l’industrie du bois d’oeuvre ou du papier, qui se sont récemment vu imposer des sanctions commerciales par les États-Unis.
Dans ces cas-ci, le coup de pouce de Québec prend la forme de facilités de financement et d’aide à la diversification «qui fonctionnent bien, mais ça pourrait prendre d’autres formes si nécessaire ».
Régler les différends
Dominique Anglade se garde bien toutefois de limiter l’impact économique de la fin de l’ALENA au seul niveau des tarifs. « Beaucoup plus de choses sont évidemment en jeu. Il est question aussi de maintenir une façon ordonnée de régler nos différends commerciaux, de faciliter la mobilité de la main-d’oeuvre et d’assurer une stabilité et une prévisibilité à nos relations. Le degré d’intégration et de compétitivité de nos chaînes de valeur en dépend. »
Dures journées
Le cycle de négociations qui vient de commencer à Montréal s’annonce très difficile. Jusqu’à présent, les parties ne sont pas parvenues à avancer d’un pouce sur les enjeux les plus litigieux de la négociation entreprise à la fin de l’été et d’abord censée se conclure avant la fin de 2017 avant que l’échéance officielle ne soit repoussée à la fin du mois de mars.
Accusé de présenter des exigences excessives seulement pour avoir l’excuse de conclure à l’échec de l’exercice, le camp américain demande aussi une forte hausse du contenu américain minimal dans la fabrication des automobiles, l’élimination ou la neutralisation des mécanismes de règlement des différends, un resserrement de l’accès au marché des contrats publics américains et la fin automatique de l’entente au bout de cinq ans, à moins que les trois pays ne conviennent chaque fois de la renouveler.
Il y a deux semaines, la rumeur d’un retrait imminent des États-Unis de l’ALENA a eu le temps de faire trébucher les marchés boursiers, avant que le président Trump ne retourne la situation en laissant entendre qu’il serait prêt à reporter encore une fois la conclusion des discussions après les élections générales mexicaines de cet été.