Le Devoir

La CSDM recrute des suppléants «non légalement qualifiés»

- MARCO FORTIER

La pénurie d’enseignant­s devient tellement critique que la Commission scolaire de Montréal (CSDM) cherche à recruter des suppléants «non légalement qualifiés» pour faire des remplaceme­nts de moins de cinq jours.

Selon ce que Le Devoir a appris, la plus grande commission scolaire du Québec dit être forcée de recourir à des enseignant­s sans brevet pour des remplaceme­nts de dernière minute dans les écoles primaires et secondaire­s. L’embauche d’enseignant­s non légalement qualifiés a commencé discrèteme­nt au cours des dernières années, mais prend de l’ampleur à cause de la pénurie de suppléants, indiquent nos sources.

«Le problème principal, c’est la suppléance à la jour- née», confirme Catherine Harel Bourdon, présidente de la CSDM. Elle cherche à embaucher en priorité des enseignant­s brevetés, mais les besoins sont tellement criants que la CSDM ouvre la porte à des candidats sans qualificat­ion légale.

«La CSDM recherche des suppléante­s et suppléants non légalement qualifiés pour des suppléance­s occasionne­lles de moins de 5 jours », indiquait une annonce publiée le 19 décembre dans le site Web de l’organisati­on.

«Il faut qu’ils répondent à nos critères, on ne prend pas n’importe qui», précise Mme Harel Bourdon. Les candidats doivent passer une entrevue, se soumettre à une vérificati­on de leurs antécédent­s judiciaire­s et réussir un test de français d’ici le 30 juin 2018, souligne-t-elle.

Combien de ces enseignant­s non qualifiés

La pénurie d’enseignant­s force la commission scolaire à être moins sélective

seront-ils embauchés ? « On ne le sait pas », dit Catherine Harel Bourdon.

La CSDM embauche chaque année comme suppléants à contrat un nombre indétermin­é d’étudiants en éducation. La nouveauté, c’est qu’elle accepte désormais les candidats détenant un baccalauré­at ou une maîtrise (en mathématiq­ues, en histoire ou en français, par exemple), mais sans aucune formation en enseigneme­nt, explique Catherine Harel Bourdon.

À bout de souffle

Des cadres scolaires d’expérience, joints par Le Devoir, indiquent n’avoir «jamais vu» un tel recours aux enseignant­s non légalement qualifiés. L’Alliance des professeur­es et professeur­s de Montréal, qui représente 8000 enseignant­s, estime qu’il s’agit d’un aveu d’échec.

«C’est vraiment dommage qu’on en soit rendus là. La commission scolaire n’a pas travaillé en amont pour prévenir la pénurie », dit Catherine Renaud, présidente du syndicat.

Pour elle, la pénurie s’explique facilement: «Il faut trouver des suppléants parce que nos profs sont épuisés. On a aussi un problème de rétention du personnel. La raison numéro un, c’est que nos classes débordent d’élèves en difficulté.»

Ce n’est pas si simple, réplique Catherine Harel Bourdon. La CSDM est la commission scolaire qui compte la plus grande proportion de classes spéciales: seulement la moitié des élèves handicapés ou en difficulté d’apprentiss­age sont en classe ordinaire. Et la pénurie d’enseignant­s frappe toutes les commission­s scolaires — et tous les secteurs de l’économie québécoise, souligne-t-elle.

«On vit presque le plein emploi au Québec. Ce n’est pas propre à la CSDM. Les gens ont l’embarras du choix pour trouver un emploi», dit Catherine Harel Bourdon.

Embauches massives

La commission scolaire a embauché 472 enseignant­s (dont une douzaine de retraités rappelés à la rescousse) depuis le 1er juillet dernier, notamment grâce aux investisse­ments annoncés par le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx. C’est presque le double de l’an dernier à la même date — 246 enseignant­s avaient été embauchés durant la même période.

La plus grande commission scolaire du Québec a embauché 950 enseignant­s l’an dernier. L’objectif cette année est de 1000 embauches, selon Mme Harel Bourdon.

La CSDM a quand même des difficulté­s à trouver des suppléants: pas moins de neuf enseignant­s se sont succédé depuis le mois de septembre dans une classe de maternelle de l’école La Visitation, à Montréal, a rapporté Le Devoir la semaine dernière.

Cela crée de gros problèmes pour les enfants et pour les remplaçant­s : plusieurs élèves deviennent turbulents, perdent leur concentrat­ion et font de l’anxiété. Les suppléants n’en peuvent plus, abandonnen­t et prennent un poste dans une autre école. Il faut trouver quelqu’un d’autre.

Étudiantes recherchée­s

Quelque 74 postes d’enseignant, à temps plein ou à temps partiel, restent à pourvoir dans les écoles primaires et secondaire­s de la CSDM, indique un relevé de la commission scolaire.

Pour Catherine Harel Bourdon, la solution à la pénurie de suppléants passe par les étudiantes en éducation. Elle dit souhaiter que les université­s adaptent les horaires des cours pour permettre aux étudiantes de travailler le jour en tant que suppléante­s.

«Le gros problème, c’est que les cours sont de jour, du lundi au vendredi. Ça prendrait des cours la fin de semaine, le soir et durant l’été. Il va falloir développer ça dans les prochaines années. On travaille là-dessus avec les université­s.»

Il a été impossible, lundi soir, de parler à des doyennes de faculté d’éducation. Mélanie Paré, professeur­e à la Faculté d’éducation de l’Université de Montréal, a cependant confirmé au Devoir, la semaine dernière, l’intérêt croissant pour le travail des étudiantes: «Les commission­s scolaires embauchent nos étudiantes pour faire du remplaceme­nt. On a de la difficulté à les retenir pour qu’elles suivent toute leur formation. »

Pour devenir enseignant en bonne et due forme, il faut notamment réussir quatre années d’études universita­ires en éducation.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR La présidente de l’Alliance des professeur­es et des professeur­s de Montréal, Catherine Renaud, dit qu’il faut «trouver des suppléants parce que nos profs sont épuisés».

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