Le Devoir

Deux journalist­es appelés à témoigner au procès Normandeau

Les avocats de Marc-Yvan Côté veulent forcer Marie-Maude Denis et Louis Lacroix à dévoiler leurs sources

- ISABELLE PORTER à Québec Avec la collaborat­ion de Marie Vastel et de Marie-Michèle Sioui

Les avocats de l’ex-organisate­ur libéral Marc-Yvan Côté veulent forcer deux journalist­es à révéler leurs sources en marge du procès de M. Côté, de Nathalie Normandeau et de leurs coaccusés pour complot, corruption de fonctionna­ires et abus de confiance.

Les journalist­es MarieMaude Denis, de Radio-Canada, et Louis Lacroix, du groupe Cogeco, devront témoigner lundi après-midi à moins que leurs avocats convainque­nt le juge du contraire d’ici là. La défense s’intéresse aux sources qui ont alimenté des reportages diffusés à l’émission Enquête et dans le magazine L’actualité.

Tout cela dans le but de démontrer l’existence d’un système organisé de fuites au sein de l’État qui, selon elle, justifie un arrêt des procédures et l’annulation du procès qui doit débuter le 9 avril. La défense allègue en outre que le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) ne prend pas les mesures nécessaire­s pour faire cesser les fuites journalist­iques.

Des démarches surveillée­s de près par Me Sébastien Pierre-Roy, qui représente Radio-Canada dans cette affaire. «On cherche à obtenir de l’informatio­n sur une source confidenti­elle d’une journalist­e. Or, depuis la commission Chamberlan­d et l’affaire Lagacé, les journalist­es et les organisati­ons de médias font très attention à ces tentatives-là.»

Carignan confiant

La demande des avocats de Marc-Yvan Côté survient quelques mois à peine après l’adoption d’une loi fédérale visant à protéger les sources journalist­iques. Or, Me Olivier Desjardins (qui seconde Me Jacques Larochelle dans le dossier) a laissé entendre lundi qu’il envisageai­t de contester la constituti­onnalité de cette loi.

Cela n’étonne pas le sénateur qui l’a écrite, M. Claude Carignan. «Ce n’est pas quelque chose qui me surprend. Mais je suis très confiant de la constituti­onnalité du projet de loi sur la protection des sources journalist­iques», a-t-il déclaré au Devoir. «Le juge a tous les outils pour équilibrer les intérêts de l’accusé versus ceux de la protection des sources. »

À la Fédération profession­nelle des journalist­es du Québec (FPJQ), on reproche à l’avocat de M. Côté de mal comprendre le rôle des travailleu­rs de l’informatio­n. «Ce qui me frappe, c’est son interpréta­tion du travail journalist­ique», a commenté le président de la FPJQ, Stéphane Giroux. «Il dit que les journalist­es ne devraient pas avoir le droit de faire leur propre enquête quand une cause est judiciaris­ée. Si on prenait ça tel quel, ça reviendrai­t à dire que dès qu’une personne se fait arrêter, on n’a plus le droit d’en parler. C’est un peu absurde. Les journalist­es ne seront pas à la remorque des caprices des avocats.» Selon M. Giroux, cela pourrait même créer un précédent.

Zambito appelé lui aussi

Outre les deux journalist­es, la défense veut interroger l’ancien témoin de la commission Charbonnea­u Lino Zambito, relativeme­nt à certaines informatio­ns contenues dans son livre Le témoin. Des enquêteurs seraient aussi appelés à témoigner lundi.

Autre rebondisse­ment notable dans cette affaire: ce débat sur les fuites médiatique­s touche aussi le député Guy Ouellette, arrêté en octobre dernier.

Le lien entre les deux affaires est apparu quand le DPCP a voulu démontrer qu’il avait bien agi contre les fuites en présentant certaines informatio­ns. L’Assemblée nationale est alors intervenue pour invoquer les privilèges parlementa­ires et s’opposer à la diffusion de ces informatio­ns. Une requête à laquelle s’est joint l’avocat représenta­nt Guy Ouellette, lundi, au palais de justice de Québec.

En matinée, le juge André Perreault a décidé que la question des privilèges parlementa­ires serait débattue le vendredi 26 janvier.

Selon l’avocat des médias, Me Pierre-Roy, l’interventi­on de l’Assemblée nationale dans un procès criminel constitue un véritable précédent. «À ma connaissan­ce, c’est la première fois, a déclaré Me Sébastien PierreRoy. Je n’ai jamais vu ça ni au Québec ni ailleurs. »

Me Pierre-Roy représente également un consortium de médias incluant Radio-Canada, La Presse et Le Devoir. Il est intervenu lundi afin d’empêcher les ordonnance­s de non-publicatio­n dans ce dossier.

Un procès qui dérape ?

Malgré l’accumulati­on des requêtes, les avocats de la Couronne disent ne pas craindre que le procès dérape. «Tout ça ne met pas en péril la date du début du procès qui est début avril», a commenté l’avocat du DPCP, Robert Rouleau. «On est certains que toutes ces requêtes-là peuvent être tranchées à l’intérieur du délai qu’on a pour le faire. »

Quant à l’ex-ministre Nathalie Normandeau, il n’en a pas beaucoup été question lundi. Elle n’était d’ailleurs pas présente au palais de justice.

Les avocats ont toutefois signalé que la preuve contre elle se basait sur huit subvention­s en particulie­r. Dans ses commentair­es à cet égard, son avocat, Maxime Roy, a rappelé qu’elle en avait accordé des centaines quand elle était au pouvoir.

Rappelons que Nathalie Normandeau, Marc-Yvan Côté et leurs coaccusés, Bruno Lortie, François Roussy, France Michaud et Mario Martel, font face à divers chefs de complot, de corruption de fonctionna­ires et d’abus de confiance. Ils ont été arrêtés en même temps au printemps 2016.

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE La demande des avocats de Marc-Yvan Côté (à droite) survient quelques mois à peine après l’adoption d’une loi fédérale visant à protéger les sources journalist­iques.

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