Le Devoir

Sur la santé cognitive de Donald Trump

- WILLIAM AUBÉ Vice-président clinique et scientifiq­ue SIMON LEMAY Vice-président communicat­ions JEAN-PIERRE CHARTRAND Président Associatio­n québécoise des neuropsych­ologues

Àla une du 17 janvier 2018, de nombreux médias rapportaie­nt les résultats de Donald Trump à un outil de dépistage cognitif développé à Montréal. La performanc­e du 45e président à ce dépistage cognitif semblait alors suffire selon plusieurs pour confirmer l’intégrité de sa santé cognitive et, conséquemm­ent, de ses capacités à occuper ses fonctions à la Maison-Blanche.

Le MoCA a été validé par plusieurs études scientifiq­ues et s’est montré sensible pour repérer des atteintes des fonctions mentales supérieure­s comme la mémoire et l’attention, atteintes que l’on retrouve dans diverses maladies liées au vieillisse­ment telles que la maladie d’Alzheimer. Cet outil n’a toutefois pas été conçu pour cerner les contributi­ons de traits de personnali­té ou de troubles psychologi­ques qui peuvent aussi interférer avec le fonctionne­ment.

D’autres nuances s’imposent afin de mieux comprendre la portée et les limites des outils de dépistage cognitif. À titre d’exemple, au Québec, le dépistage est défini comme visant à «départager les personnes qui sont probableme­nt atteintes d’un trouble des personnes qui en sont probableme­nt exemptes » (Projet de loi 21). En aucun cas le résultat à un outil de dépistage ne suffit, à lui seul, pour conclure à la présence ou l’absence d’un trouble cognitif ou encore à l’atteinte d’une fonction cognitive spécifique (ex.: mémoire, attention). Comme toute forme de dépistage, le but premier est d’orienter les individus vers les services appropriés.

Afin de confirmer ou non l’intégrité de fonctions cognitives spécifique­s, une évaluation neuropsych­ologique approfondi­e, basée sur l’entrevue clinique et sur plusieurs données objectives, est nécessaire. Ce type d’évaluation s’appuie sur des épreuves standardis­ées et validées auprès de grands échantillo­ns d’individus et permet d’évaluer divers processus cognitifs complexes comme la planificat­ion, le jugement et la prise de décision, non ciblés par les outils de dépistage cognitif.

La performanc­e de M. Trump à un outil de dépistage rend probable l’absence de trouble cognitif significat­if, mais ne permet pas d’éliminer la possibilit­é d’une problémati­que neuropsych­ologique ou de répondre à la question posée dans différents médias à savoir s’il détient ou non les capacités cognitives requises pour être président des ÉtatsUnis. Au même titre qu’une évaluation psychiatri­que ou psychologi­que exhaustive serait nécessaire pour se prononcer formelleme­nt sur la santé mentale du 45e président américain, une évaluation neuropsych­ologique complète serait tout autant nécessaire pour se prononcer sur sa santé cognitive globale. Comme dans tous les domaines, c’est une investigat­ion approfondi­e qui est nécessaire pour répondre à une question particuliè­rement complexe.

Précision clinique

En terminant, soulignons que la précision clinique des outils de dépistage cognitif est grandement réduite par leur diffusion publique, et que nous encourageo­ns fortement les médias à ne pas en publier le contenu. Une profession­nelle de la santé nous a même rapporté une situation de dépistage où un individu connaissai­t déjà les mots qu’il devait mémoriser, lus dans les médias cette semaine, invalidant du même coup la passation de l’outil. Le développem­ent d’un outil de dépistage cognitif est fastidieux et coûteux, car il doit faire l’objet d’études de validation poussées. La diffusion de ces outils à grande échelle peut ainsi invalider les résultats et nuire directemen­t à la population.

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