Le Devoir

Lumière sur les artistes femmes et la diversité

Le nouveau festival Lux Magna veut aussi changer la production d’événements artistique­s

- CATHERINE LALONDE

Lux Magna? «En latin, ça veut dire “la grande lumière”. On voulait faire une grande fête très lumineuse dans l’hiver», explique Amélie Malissard, promotrice à Suoni Per Il Popolo et à la Casa del Popolo. C’est donc le nom qui a été retenu pour ce nouveau festival de quatre jours, du 25 au 28 janvier interdisci­plinaire mais très ancré dans la musique émergente. Un festival qui s’est donné comme mandat de «rassembler des femmes et des personnes non binaires», de voir ce que peut donner une scène où représenta­tivité et diversité sont au coeur de tous les spectacles. Sans les hommes? Pas tout à fait. Mais certaineme­nt les femmes d’abord.

«Ça va peut-être inspirer d’autres programmat­eurs», espère Julie Richard, organisatr­ice de spectacles à la Casa, à la Sala Rossa et musicienne (sousaphone, tuba et basse). «On n’a pas pensé en termes de quotas, et on aboutit à une programmat­ion pleine de diversité. Nos line-up [sélections] sont béton. Ce n’était pas compliqué du tout à faire. » Un festival CQFD, en quelque sorte, en représenta­tivité, qui voulait répondre, concrèteme­nt, au problème de programmat­ion souligné une fois de plus l’an dernier par Femmes en musique, entre autres.

Aux critiques qui reprochera­ient la vision sélective de Lux Magna, «il suffirait de répondre par la programmat­ion de tous les autres festivals, dont on n’interroge jamais l’incroyable uniformité, grandement masculine», indique Mme Richard.

En observant leur programmat­ion, interdisci­plinaire (musique, danse, poésie, spoken word, arts visuels), les critiques du Devoir étaient décontenan­cés. Côté danse, on y voit des artistes solides (Andrew Tay, Sophie Corriveau, Caroline Gravel, Karla Étienne). En musique, le collègue Philippe Papineau, qui couvre la scène alternativ­e québécoise, ne reconnaiss­ait, et souvent d’assez loin, que quelques noms. Julie Richard sourit. «Je sais, c’est incroyable: il y a trop d’artistes à Montréal qui ont des carrières internatio­nales en étant à peine connus ici, qui restent ici undergroun­d ». «Ou cantonnés à ne faire que des premières parties de spectacles», complète Amélie Malissard. « Des gens, par exemple, qui ont un band que tu connais, mais qu’on va présenter en solo», continue Mme Richard, «qui vont faire quelque chose d’inattendu».

Appel à la curiosité

Est-ce un cas de poule ou d’oeuf? Est-ce que le fait d’être femme ou racisé, ou les deux, signifie qu’on obtient moins de notoriété que les collègues masculins ? « Il se peut que ces artistes-là aient moins de visibilité, qu’ils soient moins connus en raison de leur genre ou de la couleur de leur peau. Je pose la question, je n’ai pas la réponse. Nous, on veut juste les faire connaître», affirme Mme Malissard.

C’est pour atteindre cet objectif que Lux Magna offre des billets très peu chers, souvent autour de 10 $, et plusieurs activités gratuites. « On lance un appel à la curiosité. Notre politique tarifaire permet

aux gens de prendre des risques, qu’ils puissent aller voir des concerts de styles ou de gens qu’ils ne connaissen­t pas du tout.» S’ajoutent des ateliers d’après-midi pour toute la famille, des animations, des exposition­s, des invitation­s aux amateurs à monter sur scène ou à participer. L’ambition «est de créer une rencontre entre plein de gens différents. Entre artistes et public, entre différents publics, différents artistes, avec des enfants, des familles — on a un concert le dimanche où les enfants sont les créateurs. Et on a l’ambition aussi de donner une visibilité à certains artistes qu’on trouve sous-représenté­s par rapport à la qualité de ce qu’ils font», indiquent les deux porte-parole du comité organisate­ur.

Le projet, disent-elles, est aussi la somme, diffractée, des événements sociaux récents. «On a vu l’automne dernier un mouvement de libération de parole», rappelle Mme Malissard, parlant de #MoiAussi. «Et un mouvement de libération de parole, c’est aussi un moment de libération d’action. C’est ce qu’on a voulu faire, à notre manière, avec le festival. Ça a donné une énergie encore plus forte pour agir en collectifs de femmes et de personnes non binaires. Le festival n’est pas une réaction qu’à ça. Mais c’est présent.» Pensé en octobre, déjà réalisé, le festival s’incarne grâce aux mains et à l’énergie de bénévoles, de partenaire­s, d’artistes qui acceptent de jouer dans des conditions financière­s pas idéales. « Ça aussi, c’est au coeur du projet. Faire des choses collective­s, en système débrouille, mais les faire. Avec la générosité de gens qui nous donnent des idées et du temps. Ce n’est malheureus­ement pas la norme. »

Lux Magna, « grande lumière», porte aussi une connotatio­n «un peu cosmique, dans l’esprit de la mythologie païenne. Magna, ça veut dire grand, fort, mais ça peut aussi vouloir dire bruyant, loud. Et on a bien envie d’être bruyant au milieu de la neige», concluent les organisatr­ices.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Amélie Malissard et Julie Richard espèrent que leur programmat­ion pleine de diversité va inspirer d’autres programmat­eurs.

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