Au tour du milieu politique
Deux chefs de partis provinciaux et un ministre fédéral démissionnent après avoir été dénoncés par de présumées victimes
Le mouvement #MoiAussi vient de déferler sur le monde politique. En 24 heures, trois politiciens de trois Parlements différents ont dû démissionner à cause d’allégations d’inconduite sexuelle.
Le ministre fédéral Kent Hehr a quitté son poste en fin de journée jeudi, accusé d’avoir proféré des commentaires à connotation sexuelle inappropriés. La veille, les chefs conservateurs en Ontario et en NouvelleÉcosse, Patrick Brown et Jamie Baillie, quittaient leurs fonctions à la suite d’allégations d’inconduite sexuelle et de harcèlement sexuel.
Dans la foulée des dénonciations concernant ces deux derniers élus, une ancienne employée politique en Alberta affirmait mercredi soir sur Twitter avoir fait l’objet de commentaires désobligeants de la part du ministre Kent Hehr lorsqu’il était député à Edmonton (2008 à 2015).
«Lors de mon premier jour de travail, à l’Assemblée législative de l’Alberta, on m’a dit d’éviter de me retrouver dans un ascenseur avec Kent Hehr. Il faisait des commentaires, instiguant un sentiment d’insécurité», a relaté Kristin Raworth, aujourd’hui fonctionnaire en Alberta.
Lorsqu’elle s’est retrouvée seule avec M. Hehr dans l’ascenseur, un jour, le député lui aurait dit «Tu es succulente» [«You’re yummy »]. «Six femmes m’ont confirmé ce soir qu’elles avaient aussi vécu ce genre d’expérience», rapportait Mme Raworth mercredi.
Jeudi matin, le premier ministre disait vouloir s’entretenir avec son ministre des Sports et des Personnes handicapées avant de commenter davantage. Kent Hehr annulait quant à lui abruptement son point de presse prévu à Toronto.
Le verdict est tombé en soirée: Justin Trudeau a dit avoir accepté la démission de son ministre «en attendant le résultat de l’enquête» confiée à l’externe. «Toute forme de harcèlement est inacceptable, et les Canadiens ont le droit de vivre et de travailler dans un environnement exempt de harcèlement», a-t-il fait valoir dans un communiqué. Kent Hehr demeure membre du caucus libéral. La ministre des Sciences, Kirsty Duncan, hérite de ses responsabilités.
«Tout au long de ma carrière, j’ai toujours essayé de traiter les autres avec respect, et je suis conscient que ce qui est le plus important, c’est comment chaque personne se sent », a quant à lui réagi M. Hehr. «Le débat qui se tient dans notre société est très important. J’encourage toutes les femmes qui se sont senties mal à l’aise ou qui ont été victimes de harcèlement, sous quelque forme que ce soit, à en parler», a-t-il plaidé par voie de communiqué.
Justin Trudeau s’est montré intraitable dans lepassé lorsqu’il a eu à gérer des cas d’allégations d’inconduite sexuelle. En novembre, son directeur des opérations Claude-Éric Gagné a été suspendu après avoir fait l’objet d’allégations de comportement inapproprié auprès de collègues féminines. En août, le député de Calgary Darshan Kang a quitté le caucus à la suite d’allégations de harcèlement sexuel. En 2016, c’était le ministre du Nunavut Hunter Tootoo qui quittait son poste et le caucus en avouant avoir eu une relation « consensuelle mais inappropriée» avec une employée. Au printemps 2015, M. Trudeau avait expulsé de son caucus ses députés Massimo Pacetti et Scott Andrews, eux aussi visés par des allégations d’inconduite sexuelle de la part cette fois-ci de deux élues néodémocrates.
Kent Hehr s’était retrouvé sur la sellette l’an dernier et en était rendu à sa troisième prise. Deux fois cet automne, il s’était fait reprocher un manque d’empathie, d’abord envers des victimes de la thalidomide, puis à l’endroit d’une commettante qui s’était fait refuser des prestations pendant son congé de maternité.
Tempête préélectorale en Ontario
Du côté ontarien, la démission en pleine nuit du chef conservateur Patrick Brown est d’autant plus fracassante qu’elle survient cinq mois avant la prochaine élection et que M. Brown était perçu comme le premier ministre en attente.
Les allégations diffusées par le réseau CTV sont portées par deux femmes. Elles n’ont pas été prouvées en cour. Le premier cas implique une jeune femme qui fréquentait l’école secondaire, mais dont l’âge n’a pas été divulgué. (En Ontario, les élèves du secondaire obtiennent généralement leur diplôme à 18 ans.) Elle aurait rencontré M. Brown, alors conseiller municipal, dans un bar en compagnie d’un ami commun. Une fois au domicile de M. Brown, ce dernier aurait abaissé son pantalon et demandé à la jeune femme de lui faire une fellation, ce qu’elle a fait.
Dans le second cas, la femme de 19 ans était l’employée de M. Brown, alors député fédéral de Barrie. Elle a pris part à une soirée très arrosée dans un bar, qui s’est terminée chez lui. Elle s’est retrouvée, en état d’ébriété, assise sur le lit avec M. Brown, qui lui n’avait pas bu. Il l’aurait alors couchée et embrassée sans lui demander sa permission. Elle lui aurait dit qu’elle ne voulait pas et qu’elle avait un copain. Il l’aurait raccompagnée chez elle.
M. Brown a qualifié les allégations de «catégoriquement fausses». Il a tenté de rester en poste, mais le parti lui a montré la porte. Les troupes conservatrices décideront vendredi de la suite des choses.
La première ministre libérale Kathleen Wynne a indiqué qu’il n’était pas question de précipiter la date du scrutin, qui aura lieu en juin. Elle a insisté sur l’importance de créer des «zones sécuritaires» pour tous. « Nous avons tous la responsabilité d’attirer l’attention sur les comportements inacceptables.»
La chef du NPD ontarien, Andrea Horwath, a été plus catégorique, parlant d’une «culture» qui doit être dénoncée et critiquant du même souffle le système judiciaire. «Je n’ai vraiment que deux mots à dire à propos du système de justice, et c’est Jian Gomeshi. Le système de justice laisse tomber les femmes, et c’est pour cela que tant d’entre elles ne dénoncent pas. […] Ne prétendons pas que le système de justice protège les femmes et leur permet d’obtenir justice. »
Tous les sondages menés en Ontario placent le Parti progressiste-conservateur en tête dans les intentions de vote. Selon le président de Forum Research, Lorne Bozinoff, la situation n’est pas nécessairement catastrophique pour les conservateurs et n’avantagera pas pour autant le NPD. «Le parti est en très bonne posture. Il a une tonne d’argent, il a recruté de très bons candidats.» Pour lui, la solution passe par la sélection rapide d’un nouveau chef permanent pour faire face à la redoutable machine électorale libérale.
Autre chef déchu en Nouvelle-Écosse
Plus tôt mercredi, c’est le chef du Parti progressisteconservateur de la Nouvelle-Écosse Jamie Baillie qui a été forcé de démissionner. Le parti avait été alerté d’allégations de harcèlement sexuel, fin décembre, et les conclusions d’une enquête externe ont mené le caucus à montrer la porte à son chef mercredi. «L’enquête a conclu que M. Baillie a enfreint la Politique de l’Assemblée de la Nouvelle-Écosse sur la prévention et le règlement de harcèlement au travail», statuait le parti dans un communiqué.
M. Baillie avait annoncé l’automne dernier qu’il céderait la chefferie du parti, à la suite des résultats décevants de sa formation à l’élection provinciale au mois de mai. Son départ a été précipité mercredi. Ses collègues n’ont pas dévoilé la nature des reproches qui lui ont été faits, mais M. Baillie s’en serait pris à une employée du caucus du parti, selon la CBC.