Le Devoir

Essentiell­e exception culturelle

- ROBERT DUTRISAC

Le Canada vient de signer un nouveau Partenaria­t transpacif­ique (PTP) avec dix pays. Sans les États-Unis. L’absence de l’éléphant américain aurait permis aux négociateu­rs canadiens de contrer l’intrusion en culture que le précédent accord sanctionna­it et de maintenir l’exception culturelle. On peut maintenant espérer que la menace qui planait sur les politiques culturelle­s québécoise­s et canadienne­s est levée.

La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a trouvé le moyen de redorer un tant soit peu son blason: elle a annoncé mercredi que le gouverneme­nt Trudeau s’était « tenu debout » afin de maintenir la capacité du pays de déployer ses programmes et politiques de soutien à la création et à la distributi­on de production­s audiovisue­lles et de musique, notamment dans l’espace numérique. Rappelons qu’au moment de la négociatio­n et de la rédaction de l’accord, le gouverneme­nt Harper, sous la pression des Américains, avait abandonné l’exception culturelle. Le PTP comprend un chapitre entier sur le commerce électroniq­ue qui ne comporte aucune exclusion de la culture. Du moment qu’elles étaient numériques, les production­s culturelle­s — films, émissions de télévision, médias et musique — ne bénéficiai­ent d’aucune protection: l’État renonçait à son droit de soutenir les production­s numériques canadienne­s, ce qui, au sens de l’accord, aurait été considéré comme un traitement discrimina­toire. Comme presque tout est sous forme numérique de nos jours, on comprend que le péril était grand.

Même si l’accord porte un autre nom — Partenaria­t transpacif­ique global et progressis­te (PTPGP) —, le texte n’a pas changé. Toutefois, le Canada a signé des lettres dites d’accompagne­ment avec les dix autres pays signataire­s afin d’exclure la culture de l’accord. Les experts devront scruter le libellé de ces lettres, qui n’ont pas encore été rendues publiques, afin de juger de leur robustesse juridique.

En annonçant la signature de cet accord, le gouverneme­nt Trudeau envoie un double message aux Américains. Premièreme­nt, le Canada rejette le protection­nisme et peut très bien signer des traités de libre-échange sans les États-Unis, comme il l’a fait avec l’Europe, d’ailleurs. Puis, en cette ère numérique, l’exception culturelle, que respecte l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), est là pour rester si l’accord doit être maintenu.

Avec cette annonce, le Canada laisse entendre qu’il a fait une croix sur la reconducti­on de l’ALENA par le gouverneme­nt Trump. Comme l’a rapporté le Globe and Mail, le négociateu­r en chef du Canada, Steve Verheul, estime qu’une entente sur le renouvelle­ment de l’ALENA à court terme est l’issue «sans doute la plus improbable» des discussion­s qui ont cours. Les deux conclusion­s les plus probables sont un retrait des ÉtatsUnis de l’accord ou encore des négociatio­ns qui traîneront indéfinime­nt, aurait affirmé le négociateu­r.

Évidemment, le nouveau PTP, tout comme le précédent, présente des inconvénie­nts. En matière agricole, la gestion de l’offre est préservée, mais elle est rognée, comme elle l’a été avec l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne. Les dix pays obtiennent un accès limité au marché; les agriculteu­rs canadiens devront obtenir des compensati­ons. C’est l’industrie automobile ontarienne qui risque d’écoper le plus.

Contrairem­ent aux États-Unis, des pays comme le Japon, le Vietnam, l’Australie ou le Chili n’ont pas de véritable intérêt à réclamer l’abolition des programmes canadiens d’aide à la culture. Ils ne cherchent pas à étendre leur hégémonie culturelle sur les plateforme­s numériques comme les Américains. Et c’est tant mieux.

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