Le Devoir

Schroeder clôt sa trilogie du mal avec Le vénérable W.

Barbet Schroeder clôt en force sa trilogie du mal avec Le vénérable W.

- FRANÇOIS LÉVESQUE

LE VÉNÉRABLE W.

Documentai­re de Barbet Schroeder. Suisse, France, 2017, 95 minutes.

Àl’évocation du mot « bouddhisme», on imagine volontiers un groupe d’hommes au crâne rasé marchant paisibleme­nt à la queue leu leu entre deux séances de prières dans leur monastère silencieux. On pense «calme», «sérénité», «paix». Des a priori romantique­s que le moine birman Ashin Wirathu force le cinéphile à réévaluer dans Le vénérable W., titre ironique pour un documentai­re percutant.

De fait, à l’issue de la démonstrat­ion de Barbet Schroeder, on serait bien plus enclin à accoler le terme «méprisable» audit personnage. Accusé en 2013 par le Time d’avoir donné naissance à un «terrorisme bouddhiste», Ashin Wirathu est un nationalis­te et un chantre de la purificati­on ethnique.

Son discours vise spécifique­ment la minorité musulmane du Myanmar (ou Birmanie), les Rohingyas, tous des violeurs et des terroriste­s-nés, selon lui. La plupart des observateu­rs qualifient de génocide les violences perpétrées contre les Rohingyas entre 2012 et 2016. Sur le front géopolitiq­ue, Barbet Schroeder accomplit d’ailleurs un travail pédagogiqu­e remarquabl­e.

Cinéaste aux mille vies

Encensé un peu partout, Le vénérable W. s’impose comme un tour de force pour le cinéaste suisse aux mille vies cinématogr­aphiques.

En France, on le rappelle, Schroeder a été le réalisateu­r de films-cultes comme More et La vallée, et le producteur de maints films d’Éric Rohmer et de Jacques Rivette. Aux ÉtatsUnis, avec un bonheur inégal, il a dirigé des vedettes dans notamment Barfly et Le mystère Von Bulow (Reversal of Fortune, Oscar pour Jeremy Irons).

Tricotée au travers de cette filmograph­ie hétéroclit­e: une oeuvre documentai­re passionnan­te qui inclut ce que Schroeder a appelé la «trilogie du mal». Le premier volet, sorti en 1974, Général Idi Amin Dada: un autoportra­it, donne le crachoir (et la corde pour se pendre) à l’infâme dictateur ougandais. Le second, L’avocat de la terreur, paru en 2007, part du même principe d’objectivit­é du regard, posé cette fois sur Me Jacques Vergès, qui défendit entre autres monstres le nazi Klaus Barbie.

Le vénérable W. constitue donc le point final de cette trilogie, mais aussi un point d’orgue, Barbet Schroeder ayant confié au Devoir qu’il estimait avoir touché là «au mal absolu».

L’ivresse du pouvoir

Le contraste entre la perception que l’on a du bouddhisme et la version déformée que prêche Wirathu explique en partie ce constat dévastateu­r. Toutefois, c’est le protagonis­te lui-même (comme ses prédécesse­urs) qui engendre ce sentiment négatif à son égard par ses paroles.

Il y a cette incitation ouverte à la haine, mais surtout cette attitude, cette vanité évidente, là encore aux antipodes de la perception qu’on a des moines bouddhiste­s.

Visiblemen­t ravi d’avoir une caméra braquée sur lui, Wirathu se livre sans se soucier du jugement, ivre d’influence et de puissance.

Tout du long, Schroeder entrecoupe le monologue empoisonné d’extraits de reportages et de films d’archives. Des interventi­ons complément­aires de journalist­es et d’activistes apportent un contrepoin­t. D’autres moines figurent parmi les participan­ts, mais un seul ose se prononcer contre Wirathu.

Selon le Bouddha

Dans les rues et les campagnes myanmarais­e, le cinéaste trouve matière à cinéma alors que sa mise en scène se déploie. Rares, ces moments d’élévation esthétique exacerbent une impression prégnante de détourneme­nt philosophi­co-religieux.

Barbet Schroeder n’en pense pas moins, si l’on en croit cette citation recueillie par le Centre Georges Pompidou dans le cadre d’une exposition qui lui fut consacrée en 2017: «Le Bouddha a lui-même annoncé, de son vivant, la fin de sa propre doctrine: il a estimé que, 5000 ans plus tard, il n’en resterait plus rien… Aucun chef religieux n’a jamais eu ce courage. C’est peut-être pour cela que j’ai toujours considéré le bouddhisme comme l’un des trésors les plus précieux de l’Humanité.»

C’est dire que le Bouddha avait raison. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il serait fier.

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LES FILMS DU LOSANGE Visiblemen­t ravi d’avoir une caméra braquée sur lui, Ashin Wirathu se livre sans se soucier du jugement, ivre d’influence et de puissance.

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