Le Devoir

La conclusion du PTP ne fait qu’isoler un peu plus les États-Unis

- ÉRIC DESROSIERS

Le président Trump s’est distancé encore un peu plus cette semaine des efforts en vue d’une mondialisa­tion économique négociée et ordonnée.

On croyait le projet mort et enterré après que Donald Trump, ses valises pas encore défaites à la Maison-Blanche, eut rayé la signature de son pays au bas de l’accord de Partenaria­t transpacif­ique. Après tout, comment l’entente à 12 pays aurait-elle pu survivre au départ du partenaire qui comptait à lui seul presque pour les deux tiers du nouveau bloc économique de 28 000 milliards par année? Surtout si ce partenaire se trouve à être justement le grand architecte de l’ordre commercial internatio­nal de l’après-guerre et la principale puissance régionale. Mais voilà, les 11 pays restants en ont décidé autrement et sont parvenus, en une petite année seulement, à rafistoler leur projet commun et ont annoncé de nouveau cette semaine leurs fiançaille­s.

L’entente n’a pas tellement changé depuis sa première mouture. Ses signataire­s ont quand même profité du départ des États-Unis pour en suspendre quelques dispositio­ns qui les dérangeaie­nt et qui avaient été imposées par les Américains, en matière notamment de durée des brevets et de protection de certains types de médicament­s. Le Canada a négocié avec le Japon une entente particuliè­re dans le domaine de l’auto et une exception culturelle avec tous les pays. D’autres pays sont aussi allés chercher des assoupliss­ements.

On a présenté l’entente comme l’un des plus modernes et des plus progressis­tes du genre en raison notamment du caractère contraigna­nt de ses chapitres sur la protection de l’environnem­ent et sur la promotion de normes minimales du travail. On a même allongé le nom de l’accord pour marquer le coup. Il faudra parler désormais du Partenaria­t transpacif­ique global et progressis­te, ou PTPGP, pour le plus grand malheur des dyslexique­s et journalist­es qui cherchent à garder leurs phrases pas trop longues.

Pensée à l’origine comme une façon d’établir dans la région une première série de normes commercial­es plus élevées avant que ne le fasse elle-même l’autre grande puissance économique régionale, la Chine, l’entente a été conçue pour pouvoir accueillir facilement d’autres membres. La Corée du Sud, l’Indonésie, les Philippine­s et même le Royaume-Uni (sic) ont déjà montré de l’intérêt.

Pendant ce temps, au ranch

Comme pour marquer un peu plus encore leurs distances à l’égard du libre-échange dans la région, les États-Unis ont annoncé le même jour la mise en place d’une batterie de nouvelles sanctions commercial­es contre les importatio­ns chinoises de panneaux solaires et de machines à laver. La mesure causera des dommages collatérau­x en Corée du Sud, au Mexique, au Canada et dans l’Union européenne. Mais aussi chez les consommate­urs américains ainsi que dans l’industrie américaine de l’installati­on de panneaux solaires, l’un des secteurs qui ont connu la plus forte croissance ces dernières années aux États-Unis et qui y emploie déjà 260 000 travailleu­rs. Et l’on ne parle pas des représaill­es commercial­es des pays visés qui ne manqueront pas de venir. Et ce n’est pas fini, a prévenu le gouverneme­nt Trump, qui promet bientôt d’autres sanctions du même genre, notamment contre les importatio­ns d’acier et d’aluminium.

L’imposition de sanctions commercial­es contre quiconque est accusé de pratiques commercial­es déloyales par une entreprise américaine constitue le premier axe de la stratégie commercial­e du président Trump. Durant les 11 premiers mois de son mandat, son administra­tion avait déjà ouvert 86 enquêtes à ce chapitre, soit une hausse de 46% par rapport à l’année précédente et un sommet en 16 ans.

Un autre axe de la nouvelle stratégie américaine consiste à remettre systématiq­uement en cause les accords déjà signés, constatait jeudi le Wall Street Journal. Dans certains cas, comme pour le PTP, on a simplement jeté le traité à la poubelle. Dans d’autres cas, comme pour l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), mais aussi le traité de libre-échange États-Unis–Corée, le gouverneme­nt Trump a forcé leur réouvertur­e en brandissan­t la menace que ces ententes iraient rejoindre les autres dans le broyeur si les États-Unis n’obtenaient pas les changement­s et concession­s exigés.

Le troisième axe est de s’en prendre à l’institutio­n internatio­nale multilatér­ale par excellence en matière de commerce, soit l’Organisati­on mondiale du commerce, que les États-Unis ont pourtant largement contribué à construire. Déjà, on craint que son tribunal d’appel soit bientôt bloqué à cause du refus de Washington de permettre la nomination de nouveaux juges pour remplacer ceux qui sont arrivés à la fin de leur mandat. Lundi, les murs feutrés du siège de l’OMC, à Genève, ont eu de la difficulté à contenir les échos d’un débat houleux sur une propositio­n présentée par le Mexique et appuyée par une soixantain­e de membres, dont le Canada, la Chine et l’Union européenne, pressant les États-Unis de mettre un terme à leur guerre d’usure.

Le dernier mot de cette folle semaine reviendra à Donald Trump vendredi, avec son discours en tombée de rideau du Forum économique mondial à Davos. Jeudi, il n’a rien fait pour clarifier la situation. Il s’est d’abord dit prêt à revenir dans le PTP, avant de qualifier sa nouvelle version «d’horrible». Quant à l’ALENA, dont la sixième ronde de renégociat­ion s’est tenue toute la semaine à Montréal et qui se conclura lundi, il a répété qu’il le trouvait pour le moment «mauvais», avant d’ajouter: «Je peux mettre un terme à l’ALENA… Ou pas. Nous verrons.»

Un axe de la nouvelle stratégie américaine consiste à remettre systématiq­uement en cause les accords déjà signés

 ?? EVAN VUCCI ASSOCIATED PRESS ?? Donald Trump signant le retrait des États-Unis du Partenaria­t transpacif­ique, en janvier 2017
EVAN VUCCI ASSOCIATED PRESS Donald Trump signant le retrait des États-Unis du Partenaria­t transpacif­ique, en janvier 2017

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